De quel droit nous a-t-on remplacé le corset par une contrainte encore plus grande, celle du corps et de l’esprit ? Qui a osé nous culpabiliser devant chaque aliment, transformant repas et cuisine plaisir et partage en comptabilité ? Pourquoi un corps contraint et des aliments prétextes ? A qui profite l’obésité qui en résulte ? Coupables, les media, la médecine, la société du paraître, la marchandisation ? Qui a inventé les magiques aliments, vous savez bien, ceux qui transforment ceux qui les avalent : la biscotte (légère, plus légère que le pain... et de composition identique l’eau en moins et des matières grasses en plus), les 0 % ou 20 % de matières grasses, mais oui les légers qui, avalés, nous transforment en sylphides, câlines, légères comme ces mannequins qui sont en dessous du seuil de maigreur ? Qui parle toujours de prévention (éviter le diabète, l’obésité, les maladies cardiovasculaires, le cancer, l’Alzheimer...) en mangeant ceci plutôt que cela, en croquant tel complément alimentaire, en rajoutant tel médicaliment et tel médicament ? Qui nous a confisqué notre plaisir sous prétexte de science diététique (changeant tous les 5 ans) ? Qui transforme notre nourriture en objet de délit, qui traque les calories ? Qui sert de faire-valoir aux marchands de tout poil relayés par des médias complaisants ? Et qui est en train de détruire cet acte infiniment complexe qu’est le fait de manger ?
Corps contraint dans une société du paraître, machine à plaire obligatoire et soumise aux durs devoirs esthétiques et hygiénistes, sous peine d’être rejeté de la Sécu ou de l’hôpital pour cause de mauvais comportement citoyen, consommateur consommé... Qui nous dérobe même notre corps intime pour faire acheter ? Qui transforme nos sentiments en marchandise, qui veut nous faire croire que, comme pour la tomate dont la qualité réside dans la régularité du calibrage, la couleur rouge et la cagette dorée, seule compte l’apparence : avoir une allure de mannequin nous procurera succès argent et bonheur ! Apparence, apparence ! Qui a permis que notre nourriture soit confisquée par des comptables, gardiens rigides de notre corps outragé ?
Non, pas des objets. Cultivons le goût contre la dictature de l’hygiénisme, le plaisir de déguster contre le puritanisme, la défense de la diversité des saveurs par la diversité des variétés, et le désir de permettre à tous de pouvoir se nourrir convenablement, partageons quiches, pizza et couscous, échangeons et transmettons nos savoirs culinaires et le plaisir des liens retrouvés nous prouvera que être vaut mieux que ne pas.