Les femmes sont, depuis la nuit des temps, déléguées au modeste, au non prestigieux, et beaucoup s’en acquittent en silence.
La répartition des responsabilités montre que les pouvoirs dominants ont toujours œuvré à tenir les femmes hors de l’espace public et à affranchir les hommes des « corvées » du foyer.
Ce qui s’apparente au soin de la personne et à l’environnement « domestique » est ainsi assumé majoritairement par les femmes (97 %), et dévalorisé socialement, y compris par elles-mêmes. Or, si les femmes ont acquis une compétence et des savoir-faire indéniables à garantir les conditions nécessaires à toutes les étapes délicates de la vie, rien ne permet de penser qu’elles le doivent à leur « nature ».
Ces tâches ne sont reconnues comme un « travail » que lorsque, pour s’en défaire, on doit faire appel à des « professionnelles » qui les effectuent à notre place, contre rémunération. Et la valeur sociale de ces gestes essentiels se mesure à l’aune de leur faible rétribution, d’autant qu’ils sont prioritairement assurés par les moins favorisés, notamment par les migrants, ce qui contribue à entretenir leur invisibilité. Dans une société qui fait commerce de tout, et en particulier des « services », tout ce qui relève de l’aide à la vie, de l’éducation, du soin des enfants, de l’assistance aux plus fragiles, aux plus âgés dépendants et aux malades, est en danger. Comment protéger ce que nous avons de plus précieux : la création et l’entretien des liens, filiaux, amicaux, professionnels, collectifs ?
L’univers des soins se trouve donc confronté à plusieurs défis :
Faire reconnaître la nécessité de protéger la part invisible et essentielle de toute activité humaine.
Faire le point sur les risques et les bénéfices de « donner à voir » (protocolisation, évaluation, optimisation, rentabilisation), prendre en compte la complexité des situations des patients sans avoir à la pervertir en la mesurant.
Recréer les conditions qui permettent de sauvegarder la relation intersubjective qui constitue l’essence même du soin.
Réhabiliter les valeurs solidaires qui sous-tendent la conception même des métiers d’assistance et de soin.
Revendiquer une reconnaissance/rétribution qui soit à la hauteur des enjeux de société tels qu’ils se présentent aujourd’hui.
En développant la notion de service, en lui donnant sa vraie valeur aux dépens de la servitude, le pari n’est pas seulement de redonner aux professionnels du soin le désir de défendre le « travail bien fait », de retrouver l’estime de soi professionnelle sans laquelle les difficultés liées à la mission soignante deviennent insurmontables. Il est aussi de mettre fin à une partition des tâches qui contredit les valeurs d’égalité entre féminin et masculin.
N°52 - février 2011
---- Dossier : Féminin invisible - La question du soin
Pratiques N°52, janvier 2011