Des rustines d’or pour un hôpital en état d’urgence

Edito

Face aux difficultés de recrutement médical, dans un hôpital public en plein délitement, de nombreux services et au premier chef les services d’urgence font appel aux intérimaires afin de combler les trous dans le planning. Ces médecins remplaçants, parfois payés à prix d’or, obtiennent des avantages en faisant jouer la concurrence avec le privé. La recherche de tels profits à l’hôpital public pose de sérieux problèmes en termes d’équité, de justice, de décence et de déontologie. Equité, car les médecins urgentistes en poste doivent assurer les périodes les plus difficiles dédaignées par les intérimaires (nuits et week-ends) et les tâches institutionnelles, dans lesquelles bien entendu les intérimaires ne s’impliquent pas. Justice, car il s’agit d’argent public dans un contexte politique de rationalisation des coûts à l’hôpital public depuis plusieurs années et avec un Objectif national de dépenses d’Assurance maladie (ONDAM) fixe. Or, en cas d’allocation de ressources finies, toute dépense pour un poste entraîne une restriction de dépenses ailleurs. Justice, encore, car comme il s’agit d’argent public, et comme la santé est un service public, il est normal que la société, représentée par l’État, détermine des limites à ne pas dépasser. Quel autre service public se permettrait ce que l’hôpital se permet ? Décence, car à partir de quel niveau de revenu commence-t-on à s’interroger sur son indécence ? Indécence par rapport aux collègues praticiens hospitaliers, mais aussi, et surtout, en comparaison au salaire médian en France et à ceux des autres soignants non médecins tout aussi indispensables. Déontologie, car avec la loi Rist qui applique un plafond de 1 400 euros depuis avril 2023 pour une garde de 24 heures (par rapport à des tarifs exorbitants allant parfois jusqu’à 4 000 euros), les plus avides fuient le public pour le privé. La loi Rist ne concerne que l’hôpital public. Dans le public, cela entraîne déjà la fermeture de services dont des services d’urgences. Nombre de nos concitoyens se trouvent en difficultés pour leur santé. En outre, les services qui restent ouverts sont encore plus sollicités. Pourtant le Code de déontologie médical stipule, dans l’article R4127-3, que « le médecin doit, en toutes circonstances, respecter les principes de moralité, de probité et de dévouement indispensables à l’exercice de la médecine. », dans l’article R4127-47 : « Quelles que soient les circonstances, la continuité des soins aux malades doit être assurée. », dans l’article R4127-53 : « Les honoraires du médecin doivent être déterminés avec tact et mesure, en tenant compte de la réglementation en vigueur, des actes dispensés ou de circonstances particulières. », dans l’article R4127-56 : « Les médecins se doivent assistance dans l’adversité. ». L’État semble avoir trouvé la parade en créant de manière ad hoc des nouveaux contrats type 2, dits d’attractivité, pouvant aller jusqu’à 10 000 euros nets mensuels. Avec cette mesure, le sentiment d’iniquité entre médecins, et soignants de manière générale, demeure le même et la situation financière des hôpitaux est rendue encore plus difficile. De plus, les tensions sur les équipes s’accroissent, conduisant à un épuisement et à des départs qui aggravent les problèmes. Pour ceux qui restent sur le bateau qui sombre, l’engagement du service public semble désormais se résumer à « plutôt couler en beauté que flotter sans grâce. » [1]

par pratiques, Pratiques N°101, juin 2023


[1Référence à l’ouvrage de Corine Morel-Darleux : Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce. Réflexions sur l’effondrement paru aux Editions Libertalia en 2019.

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