Martine Lalande
Médecin généraliste
Hier soir, j’étais en visite chez un de mes patients, un vieux monsieur espagnol venu finir sa vie chez sa fille, alors que, devenu veuf, il avait un cancer. Les spécialistes lui donnaient six mois à vivre il y a quatre ans. Il est merveilleusement bien soigné par sa fille et son gendre, dans un joli pavillon de banlieue, lit médicalisé et plan de tomates sur la fenêtre. Après deux séjours en soins palliatifs, il est de nouveau en hospitalisation à domicile. Hier, j’ai eu de la chance, je suis arrivée en même temps que l’infirmière libérale qui vient faire les soins du soir. Rencontre difficile à programmer, leur planning surchargé valant bien le nôtre. Moi, j’adore les regarder faire des soins, avec leur technique précise, maîtrisée et respectueuse des règles d’asepsie, tout en délicatesse. Elle, en plus, parle espagnol, et communique bien mieux que moi malgré mes gestes et mes mimiques. Elle me parle de la perfusion sous-cutanée : « On pourrait la passer en 12 heures seulement, il serait plus libre de ses mouvements la journée, mais il faudrait le piquer chaque jour au lieu de tous les deux ou trois jours comme maintenant. » On s’interroge : quel est le moins agressif pour lui ? On a besoin de cette perfusion, car il n’a pas envie de boire, et risque l’infection urinaire ou l’encombrement bronchique. « Vous êtes seule juge, docteur » me dit alors l’infirmière. Interloquée, je réalise : « Mais nous sommes quatre dans cette chambre » et me tourne vers sa fille, lui demandant de traduire notre question en espagnol. Ce qu’elle fait, un peu réticente car elle sait que son père n’aime pas prendre position dans ce qu’il considère être nos affaires. Cette fois, la réponse est directe : « La perfusion tout le temps, moins de piqûres. » Me voici confortée dans l’idée qu’il faut tout faire traduire. Ou apprendre l’espagnol, mais j’ai bien peur de ne pas avoir le temps…