Lettre ouverte du collectif Pas de bébés à la consigne * à Madame Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des Solidarités et de la Santé : 20 propositions pour développer une offre de qualité pour tous les jeunes enfants.
Madame la Secrétaire d’État,
Vous avez reçu une délégation du collectif Pas de bébés à la consigne le 21 mars 2019 et nous vous en remercions. Vous nous avez indiqué que nous serions conviés à participer à la poursuite de la concertation sur la réforme des modes d’accueil et que nos propositions et revendications seraient examinées attentivement. Nous vous soumettons donc, et rendons publiques, vingt propositions pour une réforme qui se traduise par un véritable printemps des modes d’accueil. Le fil rouge de nos propositions demeure, comme depuis dix ans, celui de développer à la fois largement l’offre d’accueil des jeunes enfants tout en assurant sa plus ample qualité.
Pour cela, nous avons pris en compte les nombreuses études réalisées en France et à l’étranger [1], selon lesquelles la qualité des modes d’accueil est liée à un ensemble de critères tels que : les niveaux de qualifications professionnelles, les taux d’encadrement, la taille restreinte des groupes d’enfants, le respect des rythmes spécifiques des tout-petits, le temps et la disponibilité accordés à l’enfant et sa famille, l’implication des parents, la sensibilité du personnel aux intérêts et aux besoins des enfants, la stabilité du personnel, l’adéquation des locaux, le sens que trouvent les personnels dans leur travail et leur accord avec les objectifs et les méthodes du travail, ainsi que des temps de réflexion réguliers sur les pratiques, qui favorisent une prise en compte de l’enfant et de sa famille dans une relation individualisée.
1er axe de la réforme : développer l’offre d’accueil des jeunes enfants
Adopter un plan pluriannuel visant à augmenter l’offre d’accueil de 400 000 places [2] par la création prioritaire de 200 000 nouvelles places d’accueil collectif en établissement d’accueil du jeune enfant (EAJE) pour résorber le retard pris à l’égard du développement de l’accueil individuel.
Offrir l’accès à un cadre d’accueil et de socialisation pour tous les enfants qui ne bénéficient pas d’un mode d’accueil [3] et dont les parents le souhaitent : multi-accueil, halte-jeux... en assurant son financement. Veiller à l’inclusion la plus large dans les modes d’accueil des enfants en situation de handicap ou de maladie chronique et à l’accessibilité de tous les modes d’accueil aux enfants de toutes les catégories socioprofessionnelles. Développer des dispositifs passerelles pour assurer la transition en douceur entre le milieu familial et l’école maternelle, ainsi que des temps passerelles pensés et organisés des modes d’accueil vers l’entrée à l’école.
2e axe de la réforme : amplifier la qualité d’accueil des jeunes enfants et promouvoir la qualité au travail pour les professionnel·le·s
Atteindre l’objectif d’un ratio moyen d’encadrement d’un professionnel qualifié pour cinq enfants en EAJE [4], au plus tard à l’échéance de la prochaine Convention d’objectifs et de gestion entre l’État et la CNAF, Caisse nationale des allocations familiales (2022).
Limiter les possibilités d’accueil en surnombre à 110 % de l’effectif en EAJE [5].
Revenir à un ratio d’au moins 50 % de professionnel·le·s les plus qualifié·e·s en EAJE : puériculteurs·trices, éducateurs·trices de jeunes enfants, auxiliaires de puériculture, psychomotricien-nes [6] (taux abaissé à 40 % par le décret « Morano »), mesure qui devrait être immédiatement suivie d’un plan de formation initiale et continue permettant d’élever progressivement ce ratio [7]. Accroître le ratio des éducateurs·trices de jeunes enfants (EJE) auprès des enfants à un EJE pour vingt enfants avec l’objectif d’atteindre un ratio d’un EJE pour quinze enfants au terme de la prochaine COG [8].
Garantir la qualité de professionnel·le de la petite enfance expérimenté·e [9] à la direction des EAJE (puéricultrices, EJE), disposant d’une formation complémentaire préalable dans le domaine de l’encadrement et de la gestion (sans hypertrophier cette dernière tâche parmi leurs missions). Assurer le concours des médecins et des psychologues aux équipes des EAJE.
Instituer réglementairement des temps d’analyse sur les pratiques professionnelles au sein des équipes d’EAJE, inscrits dans le temps de travail et hors présence des enfants, au titre du projet éducatif de la structure, avec une contribution financière des CAF.
Redéfinir le mode de financement des EAJE car la stricte PSU horaire (Prestation de service unique, participation de la famille, N.D.L.R.), utilisée dans une optique gestionnaire, favorise la recherche de « rentabilisation » des temps d’accueil au détriment de la qualité d’accueil (nombreuses discontinuités dans la vie des tout-petits) et détériore la qualité de vie au travail des professionnel·le·s (pression au « rendement » avec la multiplication des accueils).
Poser juridiquement des critères de fonctionnement et d’accompagnement technique liés à la dimension collective de l’accueil en maison d’assistant·e·s maternel·le·s, ainsi qu’une référence en santé. Prévoir en Maison d’assistant maternel (MAM) les mêmes créneaux d’analyse sur les pratiques professionnelles qu’en EAJE. Faire contribuer financièrement les CAF à l’accompagnement technique, à l’analyse de pratiques et à la référence en santé en MAM. Promouvoir les temps de réflexion sur les pratiques pour les assistant·e·s maternel·le·s exerçant à domicile en lien avec les Relais d’assistant·e·s maternel·le·s (RAM) et/ou les services de PMI. Soutenir un plan de création des RAM et renforcer les moyens des services de PMI.
Promouvoir la formation continue des professionnel·le·s des modes d’accueil collectifs et individuels sur les enjeux du développement du jeune enfant et de l’accueil de l’enfant et de sa famille, et y affecter les budgets nécessaires.
Adapter des conditions particulières d’accueil aux besoins de jeunes enfants de 2 à 3 ans, lorsqu’ils sont scolarisés en maternelle (espaces, rythmes et équipements adaptés, professionnel·le·s formé·e·s), avec un enseignant et un ATSEM, agent territorial spécialisé des écoles maternelles, à temps plein pour quinze enfants maximum, et en innovant avec la constitution de coopérations entre enseignants et éducateurs de jeunes enfants.
Préserver l’exercice des compétences de la PMI pour l’instruction des procédures d’agrément, d’avis, d’autorisation, de contrôle et d’accompagnement des modes d’accueil du jeune enfant, en les coordonnant avec les compétences exercées par la CAF.
3e axe de la réforme : établir un plan « métiers » de qualité pour la petite enfance,
développer et rénover les formations
Préserver des formations spécifiques et singulières au champ d’accueil de la petite enfance, favorisant l’interdisciplinarité dans les domaines de la puériculture, de la pédagogie et de la psychologie. Promouvoir à cet effet un socle commun relatif au développement de l’enfant, à la relation avec les parents, à la dimension de l’observation... et des temps de formation communs des métiers de la petite enfance (modules, passerelles) en favorisant le rapprochement des ministères de tutelle autour de l’élaboration des cursus de formation.
Élever globalement le niveau de qualifications des professionnel·le·s de la petite enfance dont la formation initiale est inférieure à Bac + 3 [10] : approfondissement des cursus du CAP accompagnant éducatif petite enfance, du diplôme d’auxiliaire de puériculture, de la formation obligatoire des assistant·e·s maternel·le·s ; adaptation des contenus des formations aux enjeux du développement et de l’épanouissement des jeunes enfants, notamment sur les versants du maternage et de la pédagogie ; stages professionnalisants en plus grand nombre articulant pratique et théorie, temps de travail collectif et coopératif entre pairs...
Développer la formation continue diplômante notamment pour les titulaires d’un CAP-AEPE et pour les assistant·e·s maternel·le·s afin qu’ils·elles bénéficient de réels parcours de professionnalisation et de développement des carrières, et accèdent à la promotion professionnelle.
Planifier un plan de formation d’au moins 10 000 professionnel·le·s les plus qualifié·e·s par an sur trois ans (sur la base des taux d’encadrement actuels), afin de créer 200 000 nouvelles places en accueil collectif, plan auquel il convient d’ajouter les besoins en formation pour compenser les départs en retraite.
4e axe de la réforme : favoriser l’accès financier des familles au mode d’accueil de leur choix
Aligner les restes à charge pour tous les modes d’accueil sur la base des calculs découlant de l’application du quotient familial [11].
Généraliser le versement en tiers payant du complément modes de garde à toutes les familles employant un·e assistant·e maternel·le.
5e axe de la réforme : instituer un service public de la petite enfance
Réaffirmer le secteur de l’accueil de la petite enfance comme une politique d’intérêt général s’incarnant dans un service public de la petite enfance qui regroupe structures publiques et non lucratives.
Placer l’accueil de la petite enfance à l’abri des enjeux de concurrence et de marchandisation, par l’exclusion de tous les modes d’accueil du champ d’application de la Directive européenne « Services », à l’instar d’autres pays européens.
Nous vous prions d’agréer, Madame la Secrétaire d’État, l’expression de notre haute considération.