Plan de sauvetage de l’hôpital : l’indécrottable médiocrité de la décision politique

Le 1er mars 2000 nous prenions connaissance d’un énième plan de sauvetage consistant à injecter 10,1 milliards de francs supplémentaires dans les budgets de l’hôpital public et à créer 12 000 emplois nouveaux dans ce secteur.

Dont acte, face aux mouvements sociaux qui montaient en puissance dans l’institution hospitalière, le gouvernement a pris conscience de l’asphyxie financière dont souffrait l’hôpital public depuis quelques années. Il décide, dans un climat d’euphorie économique et de proximité d’élections municipales, de remplir de carburant la machine hospitalière pour la remettre en marche. La ministre attend de ce plan qu’il permette de « régler les problèmes immédiats » et d’engager des actions structurelles » en réaffirmant les objectifs du gouvernement : adapter l’offre de soins aux besoins de la population, promouvoir la qualité et la sécurité des soins, réduire des inégalités dans l’accès aux soins.

Malgré l’importance de la manne financière, ce plan de sauvetage par son style, son manque d’envergure et les méthodes inadéquates qu’il utilise, est voué - d’expérience - à un échec programmé.

Au mieux, dans trois ans, tout restera à faire pour sortir l’hôpital public d’ornières structurelles totalement négligées par ce plan, alors que parfaitement identifiées depuis de nombreuses années. Au pire, durant ce laps de temps, le secteur médical à but lucratif aura acquis une position dominante sur le marché de l’hospitalisation, voire sur l’ensemble du système de soins, et s’essuiera les pieds sur un hôpital public devenu moribond malgré les moyens supplémentaires mis à disposition.

Peut-on vouloir réformer l’hôpital, si on ne réforme pas en même temps l’ensemble de notre système de soins ? Ce plan manque cruellement d’ampleur et de souffle politique. Des dimensions lui font défaut qui le condamnent d’emblée :
-  pas de visibilité à plus de trois ans, ce qui est le court terme dans le domaine de la santé ;
-  pas de dynamiques cohérentes et lisibles avec d’autres réformes tout aussi indispensables touchant aux autres étages du système de soin avec lesquels l’hôpital public est en interrelation étroite : la médecine ambulatoire, l’hospitalisation privée à but lucratif ;
-  et surtout, aucune réforme de fond concernant les outils de la gestion et de la régulation de l’ensemble du système de soins qui, restant en l’état, veut que l’argent déployé aille inéluctablement vers les plus gros et les plus forts, chacun, au nom de corporatismes étroits bien compris, tirant la couverture à soi.
A quand la réforme indispensable de l’Assurance maladie permettant quelle soit autre chose qu’une vache à lait au fonctionnement technocratique pour faire tout et n’importe quoi en matière de santé ?

A quand une budgétisation de l’ensemble des dépenses de soins, déclinée au plan loco-régional avec une gestion associant de façon étroite les représentants des usagers, des professionnels du soin et des administrations tutélaires, ce qui pose subsidiairement la question non résolue aujourd’hui quelle représentativité des uns et des autres ?

A quand la remise de l’hospitalisation privée dans les rails du service public, elle, qui, grâce aux concentrations de capital actuelles, aux pratiques systématisées de dépassements des tarifs de la Sécurité sociale, a le vent en poupe, sachant parfaitement s’attirer les patients lucratifs (les personnes solvables ayant une bonne couverture complémentaire) et les bonnes pathologies (celles qui, en multipliant les actes techniques diagnostics et thérapeutiques, rapportent gros), laissant « le reste » au bon soin du service public ?

A quand le courage politique pour tordre le cou aux logiques marchandes qui pervertissent ces logiques de soins dont l’hôpital sortira toujours perdant ?

Des remèdes indispensables aux maux internes à l’hôpital public. Pour mieux gérer au plan économique, on a déjà renforcé de façon importante les moyens en personnes et en outils de surveillance de l’administration hospitalière avec l’informatique et la statistique, dont on escompte plus d’efficacité et une meilleure utilisation de l’argent dépensé. Parallèlement, les mesures de sécurité sanitaire ont été notablement développées suite aux affaires du sang contaminé par le VIH de sorte que, au quotidien du soin, des contraintes de type évaluation économico-sécuritaire ont considérablement alourdi la charge de travail des qui se trouvent acculés à consacrer moins de temps au soin des personnes. Ces procédures bureaucratiques venant par le haut font des ravages en termes de motivation professionnelle. Elles sont à remplacer par des procédures démocratiques où, dans la proximité des soins donnés, le mieux soigner se jouerait par le biais de stimulations personnalisées et qui feraient que « étant sous le regard de mes patients, de mes collègues, j’ai envie, je me sens obligé de faire mieux au sein de mon hôpital dont j’éprouve une satisfaction à ce qu’il fonctionne bien globalement ». C’est ici la question de la redéfinition des pouvoirs et des statuts professionnels des uns et des autres dont il est question.

A quand la fin du fonctionnement féodal de l’hôpital ? Au nœud de tous ces archaïsmes, se trouve l’hôpital hospitalo-universitaire, matrice où se forgent les méthodes et ambiances de travail de la très grande majorité des soignants, lieux de formation où se sont constituées également les rancoeurs accumulées pour des ambitions de carrière non abouties. Le médecin chef de service, au statut inamovible, n’ayant pas de comptes à rendre sur son travail personnel, fait la pluie et le beau temps dans son service. Si le travail des personnes de son équipe est bon, son service fonctionne correctement ; s’il est mauvais, c’est la catastrophe et il ne peut pas être remis en question.

Au moment où va être inauguré l’Hôpital Européen Georges Pompidou, fleuron de l’AP-HP, qui se veut le phare hospitalier du 3e millénaire, et, qui, pour 2 % de nouveauté en matière de soin, incorpore dans ses locaux high-tech 98 % de conservatisme et de mandarinat délétères.

A quand la suppression de l’AP-HP, « ce pouvoir dans le pouvoir », pour remettre les hôpitaux qu’elle a en charge dans le droit commun de l’administration hospitalière en termes de planification et de régulation ?

Quand donc un pouvoir politique aura-t-il le courage de s’attaquer à toutes ces questions, cruciales pour l’avenir de notre hôpital public ?

par Patrice Muller, Pratiques N°43, décembre 2008

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