Le désarroi d’une mère suivi de : Un tout spirituel

Alice et Adi.

Propos recueillis par Claire Martin Lucy

Pour ce qui est de notre fils, les difficultés nous ont largement rattrapés et même grandement débordés. Ainsi, nous n’avons jamais rien pu lui dire d’assez convaincant pour l’empêcher de prendre ces drogues, rien pu faire non plus, pas même les croisières en bateau ni tous les moments affectueux partagés à la mer ou à la montagne où nous étions tous pourtant détendus, rien n’y a fait. Même récemment où il a voulu que nous assistions à sa consultation avec son psychiatre : nous avons parlé de cette dépendance et à la question sur le rapport de sa maladie avec la prise de drogues que je posais, le médecin a répondu devant lui qu’il était deux fois plus difficile pour lui de se fixer des limites par rapport à ces drogues…
Aujourd’hui, il prend un traitement médical (injection de Risperdal®, pastilles d’antipsychotique, antidépresseur), a déjà suivi une thérapie, il vit chez lui, touche l’AAH (allocation adulte handicapé) et il est protégé par une curatelle renforcée. Il gère seul ses médicaments et ses visites au CMP (centre médico-psychologique). À 28 ans, il est étudiant en math/informatique à mi-temps et en deuxième année. Nous avons appris qu’il fallait qu’il apprenne à utiliser et développer son faible sens des réalités et ainsi s’autonomiser.
Mais il nage souvent encore dans l’eau trouble de ses addictions aux drogues et souffre encore beaucoup, car je ne pense pas que drogues et médicaments soient compatibles. Existe-t-il des médicaments substitutifs à la drogue, je sais qu’il en a déjà pris en automédication, cela ne lui a pas bien profité. Il est capable, quand il va très mal, de solliciter une hospitalisation lui-même en psychiatrie, quand il est en état de manque, mais cela n’a jamais abouti. Les six hospitalisations en dix années qui lui ont été très bénéfiques ont duré environ deux mois et ont été réalisées par notre accompagnement, souvent en HDT (hospitalisation à la demande d’un tiers), après des attentes très longues aux urgences : de cinq à six heures.
Je pense que la société actuellement s’appuie beaucoup sur la famille, qui a un rôle très difficile et souvent très ingrat. Beaucoup n’ont pas les moyens financiers ou la disponibilité de s’investir et c’est alors dramatique pour les usagers qui se retrouvent à la rue ou en prison, quand ils restent vivants. Les équipes soignantes jouent un rôle primordial pour tous les soins aux usagers, ainsi que pour leur accueil, pour l’accompagnement des familles ils ont aussi un rôle très important. Mais malheureusement, il subsiste un manque cruel de moyens financiers qui entraîne un manque d’effectifs de structures d’accueil et de lits d’hôpitaux. Les médias sont aussi très toxiques quand ils véhiculent des messages culpabilisants et négatifs envers les toxicomanes et les psychiques, car cela devient le cercle vicieux : les victimes deviennent des pervers ou les bourreaux, et cela entretient le mal-être, la drogue et la maladie.
Alice

En France, la société stigmatise la drogue en parlant de perversité. La prise de drogues quand ce n’est ni dépénalisé, ni légalisé, m’inspire la jouissance de l’interdit.
En effet, la drogue renvoie sans cesse une image négative de l’usager qui le ramène à une culpabilité. En cela, on déconsidère la notion de plaisir procuré par une prise ponctuelle, alors que dans un respect des limites, une resocialisation peut-être immédiate. J’étais petit consommateur de cannabis adolescent jusqu’à maintenant (j’ai 28 ans). Mon problème étant la timidité, les périodes où j’étais mal, les moments de « conso » étaient les seuls moments où j’arrivais à m’exprimer avec du plaisir, alors que je ressentais trop d’émotion à prendre la parole dans des groupes restreints. C’était comme un saut à l’élastique ou en parachute : un sentiment fort de liberté. Heureux est celui qui consomme le cannabis une fois par mois, le THC (tétra hydro cannabinol) fixé dans le cerveau se libère petit à petit et me donne la détente nécessaire pour rêver, car j’ai du mal à rêver. Quand on entend parler de cannabis ou de cocaïne à la télé, on voit un délinquant de banlieue qui se fait arrêter, mais on parle peu de l’écrivain ou du poète qui prend un relaxant pour laisser venir l’inspiration et le consommateur se déculpabilise lui-même car il échappe à la réalité.
Les souffrances de la maladie psychique m’amènent aux conduites addictives. « Je me retrouve comme un tout spirituel. » Cette cohérence me déculpabilise vraiment dans cette maladie où l’on me qualifie de fou
Les drogues servent, par rapport au plaisir de l’interdit, à donner un sentiment de libération au quotidien frustrant. En résumé, une échappatoire puissante qui doit se restreindre au respect des limites et de la modération.
Les drogues servent dans la société à l’utilité du souffrant : celui qui souffre psychologiquement et surtout psychiquement. C’est la réponse au manque psychique et entre autres la dépendance. Le plaisir de la consommation addictive permet de donner une réponse au manque affectif. Les effets d’une drogue comme la cocaïne sont tellement puissants en matière de bien-être psychologique et même spirituel qu’ils sont les sources d’inspiration pour se rapprocher de soi-même.
Adi


Pratiques N°58, juillet 2012

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