— Dossier : En faire trop ?

À trop vouloir en faire pour « sauver » des malades, les soignants leur feraient-ils du tort ? Comment ne pas en faire trop ? Comment faire « ce qu’il faut » pour chacun ? Où se place le « curseur » du trop et de quel point de vue se place-t-on ? De celui du soignant, de celui du patient, de leur rencontre réussie ou non ? Nous avons aujourd’hui des moyens techniques considérables pour combattre les maladies et rester en vie le plus longtemps possible. On pourrait choisir de dire : « Jamais trop de moyens pour la santé », mais encore faudrait-il que ce soit pertinent.
Il semble que, de plus en plus, les injonctions médicales prennent la place des choix de vie et empêchent la personne concernée de décider elle-même ce dont elle a besoin pour sa santé. À l’extrême, le trop pourrait devenir la règle, tout serait bon pour combattre la maladie, toutes les maladies, même les plus banales qui peuvent se guérir toutes seules. Le trop deviendrait alors une revendication légitime des usagers et un devoir pour les soignants. Comment trouver le juste dosage quand chaque patient, chaque soignant en a une définition différente... pas seulement en termes de coûts, mais aussi de prévention, de prévisions des risques. Il faut beaucoup d’expérience, de temps et d’accidents pour réaliser que le trop est l’ennemi du suffisamment, comme « le mieux est l’ennemi du bien ». Trop de médicaments créent des accoutumances et des effets indésirables. Trop d’interventions entraînent des douleurs, des cicatrices et des dégâts, parfois irréparables. Trop de dépistages génèrent des angoisses, des interventions, des traitements dangereux et, paradoxalement, aussi des morts. Et les patients, à en vouloir toujours plus dans un esprit consumériste, mesurent-ils les risques qu’ils encourent ? Jusqu’où s’investir dans la relation, au risque de déposséder le patient de son libre arbitre, au risque de se croire tout-puissant jusqu’à vouloir empêcher la mort ? Faut-il prendre en charge l’aspect social de la maladie, ou laisser aux personnes la possibilité de trouver elles-mêmes leurs outils et manifester leurs révoltes ?
On aimerait que le juste milieu — la ligne de crête — se trouve dans la négociation entre soignant, soigné et proches de celui-ci... C’est sans compter les acteurs qui peuvent « parasiter » cette relation : la couverture maladie, l’industriel du médicament, le spécialiste, le professeur, l’employeur, le logeur et l’air du temps...
On n’en fait pas assez pour les plus vulnérables alors qu’on sait qu’ils sont pénalisés par leur travail, leur environnement, leurs moyens. Les pauvres continuent à être moins bien soignés, ils vivent bien moins longtemps et en moins bonne santé. Pour cela, il faut sans cesse réajuster la place de la médecine dans la société, repenser ses priorités et mettre tout en œuvre pour répondre de façon adaptée à toutes les questions qui traversent la santé pour chacun comme pour tous.


Pratiques N°63, octobre 2013

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