Droits de l’enfant et inégalités

Jean-Pierre Lazarus
Ancien éducateur et cadre territorial

La Convention internationale des droits de l’enfant fête son trentième anniversaire cette année. Où en sont ces droits aujourd’hui, en particulier en matière de santé ?

La Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) est l’accord international sur les droits de l’homme le plus largement ratifié de l’histoire. Elle signifie que « pour la première fois, les gouvernements ont explicitement reconnu que les enfants ont les mêmes droits humains que les adultes » (Antonio Guterres, secrétaire général de l’organisation des Nations-Unies).
Que dit la Convention internationale des droits de l’enfant en matière de droit de l’enfant à la santé ? « Chaque enfant a droit à un niveau de vie suffisant et à jouir du meilleur état de santé possible. » (articles 3, 6, 24, 26 et 27).
L’objectif est de permettre à chaque enfant de commencer sa vie avec un maximum de chances pour se développer et s’épanouir. L’enfant doit pouvoir être soigné s’il est malade mais, au-delà, la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social.
En signant la convention, les États s’engagent au respect des droits consacrés par la Convention. Le Comité des droits de l’enfant est l’organe chargé de s’assurer de l’effectivité de ces droits. Ainsi, tous les cinq ans, chaque État doit être auditionné et doit remettre un rapport relatif à l’état des droits de l’enfant dans son pays. Pour mieux apprécier la situation, le Comité s’appuie également sur le travail des organisations non gouvernementales (ONG) de défense des droits de l’enfant et des institutions indépendantes du gouvernement, qui sont elles-mêmes invitées à produire des rapports « alternatifs » à celui de l’État.
Le Comité, qui ne dispose pas de pouvoir contraignant, élabore des observations générales et des recommandations afin que l’État prenne les mesures nécessaires en vue d’assurer une application effective de la Convention. Parmi ses observations finales relatives au cinquième rapport périodique de la France rendues publiques en février 2016, il appelle l’attention de l’État français concernant le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible et « lui recommande de traiter d’urgence le problème de l’insuffisance des ressources et du manque de personnel, de structures et de services médicaux, en particulier à l’école et dans les centres de protection maternelle et infantile, et de prendre en considération les besoins particuliers des enfants, notamment des enfants vivant dans les départements et territoires d’outre-mer, dans les bidonvilles et dans les camps de réfugiés ».

Des recommandations du Comité des droits de l’enfant à prendre en compte
Pour le Comité, le droit à la santé est d’autant plus important qu’il est indispensable à la jouissance de tous les autres droits garantis par la Convention.
« Le Comité recommande à l’État parti de faire de l’éradication de la pauvreté des enfants une priorité nationale (...) et d’allouer les ressources humaines, techniques et financières nécessaires aux programmes visant à soutenir les enfants et les familles les plus démunis, en particulier les enfants et les familles touchés par la crise économique qui vivent dans la pauvreté, les enfants des familles monoparentales et les enfants qui vivent dans des bidonvilles ou dans des "zones urbaines sensibles", les enfants des départements et territoires d’outre-mer et les enfants migrants non accompagnés… »
Le Comité note avec satisfaction que la santé des enfants est l’une des priorités de la Stratégie nationale de santé définie par la France en 2013, mais il est préoccupé par l’insuffisance des ressources, le manque de personnel spécialisé et la détérioration générale des services et des structures, notamment à l’école et dans les centres de protection maternelle et infantile, les disparités dans les départements.
Le Comité des droits de l’enfant souligne que les efforts devraient porter en particulier sur les enfants se trouvant dans des situations défavorisées et vivant dans des régions mal desservies. Il invite à identifier les facteurs qui rendent les enfants vulnérables et à les prendre en compte pour garantir l’équité.
Le rapport d’activité 2017 du Défenseur des droits, intitulé « Au miroir de la Convention internationale des droits de l’enfant », dresse le bilan du suivi de ces recommandations par la France, deux ans après les observations du Comité.
Le Défenseur des droits considère que l’état de santé des enfants tend à s’améliorer en France, mais ces progrès sont à relativiser compte tenu des inégalités sociales et territoriales. Il y a trois millions d’enfants pauvres et les liens entre pauvreté, précarité et inégalités de santé ont été largement mis en évidence, et ce depuis le plus jeune âge.
Le Défenseur préconise différentes pistes pour améliorer l’accès des enfants à la santé : renforcer le soutien aux parents, donner la priorité à la prévention insuffisamment développée dans notre pays en déchargeant les médecins des tâches administratives, développer la participation des enfants et recueillir leur opinion, ou encore garantir des moyens suffisants pour la PMI, la médecine scolaire « services en péril » et la pédopsychiatrie…

Un exemple : la protection maternelle et infantile en crise
« Le diagnostic posé par la mission est celui d’une crise majeure de la PMI. Si les dynamiques budgétaires et démographiques actuelles se poursuivent, la perspective est celle d’une extinction à bas bruit de cette politique publique faute de moyens et d’effectifs. » Rapport présenté par Madame Michèle Peyron, députée, « Pour sauver la PMI, agissons maintenant », mars 2019.
La mission, qui s’est rendue dans quatorze départements, note de grandes disparités territoriales et signale un rétrécissement marqué de l’activité sanitaire de la PMI en direction des publics fragiles. Par exemple en 1995, près de 900 000 enfants avaient été vus en consultation de PMI ; en 2016, l’activité ne s’élève plus qu’à 550 000 consultants soit une baisse de -45 %, et se concentre sur la tranche des 0-2 ans, les visites à domicile infantiles par les puéricultrices ont vu leur nombre presque divisé par deux en vingt-cinq ans, le bilan de santé en école maternelle se maintient mais avec des écarts de 10 % à 98 % selon les départements.
Le budget général des PMI accuse une baisse significative de –4 % de 2013 à 2017 et le manque important de médecins (jusqu’à 50 % de postes vacants dans certaines PMI) risque de s’aggraver dans les années à venir.
Le rapport rappelle que l’efficience de la prévention précoce est bien établie scientifiquement et que la PMI constitue un levier de prévention adapté pour réduire les inégalités sociales de santé. La mission propose d’engager un plan national PMI 2019-2022 qui repose sur une clarification des rôles, des recommandations et un véritable fléchage des objectifs (par exemple au moins 80 % des enfants de maternelle (3-4 ans) bénéficiant d’un bilan de santé d’ici 2022 pour revitaliser la prévention.
Dans un avis émis le 19 novembre 2019, à l’occasion du trentième anniversaire de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) dénonce elle aussi « l’état alarmant » de la PMI : « Au manque de moyens financiers s’ajoutent une pénurie de personnels médicaux bien formés et de fortes disparités territoriales. Face à ces difficultés, y compris la réduction du nombre de lieux d’accueil, l’activité de la PMI est en décroissance… Elle doit donc faire face aujourd’hui à une crise majeure, particulièrement marquée dans les territoires ultramarins, dans lesquels on constate une surmortalité infantile persistante… Plus généralement, alors que le gouvernement a récemment mis en place une commission sur les mille premiers jours de l’enfant, la CNCDH rappelle la nécessité de redonner à la PMI tous les moyens nécessaires afin qu’elle puisse mener à bien sa mission, avec les services compétents et de manière pluridisciplinaire ; et ce d’autant plus que la médecine scolaire, qui est l’autre aspect de cette politique de prévention en faveur des enfants, est aussi en grande difficulté… ».

La médecine scolaire : des missions de moins en moins assurées
La France compte désormais 976 médecins scolaires, pour 12,5 millions d’élèves, soit un médecin pour 12 800 élèves, avec une répartition très hétérogène. Un tiers des postes de médecins scolaires ne sont pas pourvus, et même un sur deux en Seine-Saint-Denis, aucun médecin dans l’Indre. Le Rapport de la mission relative à la prévention santé en faveur de la jeunesse publié en septembre 2018 à l’Assemblée par les députés Cyrille Isaac-Sibille et Ericka Bareigts considère que « notre politique de prévention doit changer de paradigme, alors qu’en la matière, une approche strictement égalitaire s’avère inéquitable : elle creuse les inégalités sociales de santé, car ce sont ceux qui en ont le moins besoin qui s’approprient le mieux les messages et politiques de prévention et qui en bénéficient le plus. Nous devons réorienter notre action… l’intensité de l’action doit être plus grande pour ceux qui ont les besoins les plus importants, afin de réduire les inégalités sociales et territoriales de santé. »
N’oublions pas qu’en France, un enfant meurt tous les cinq jours sous les coups de ses parents ou de proches (72 décès par an), selon un rapport élaboré par les inspections générales des affaires sociales (IGAS), de la justice (IGJ) et de l’éducation (IGAENR) remis le 25 avril 2019 [1]. Plus de la moitié de ces enfants avaient moins d’un an et un tiers des enfants étaient en âge d’être scolarisés.
Selon le bilan démographique publié par l’INSEE [2], 2 900 enfants sont décédés en France en 2016, soit 3,7 décès d’enfants de moins d’un an pour mille naissances, un taux qui ne parvient pas à baisser depuis dix ans, contrairement à la plupart des pays de l’Union européenne. En moyenne, dans l’Union européenne, le taux de mortalité infantile en 2016 est de 3,6 ‰. Le taux est le plus faible en Finlande (1,9), viennent ensuite la Slovénie, l’Estonie et la Suède qui ont des taux inférieurs à 2,5 ‰, l’Espagne (2,7) et l’Italie (2,8).

Dans son rapport 2018 intitulé « De la naissance à 6 ans : au commencement des droits », le Défenseur des droits rappelle que « les difficultés rencontrées par les services de PMI et de médecine scolaire fragilisent en premier lieu les enfants issus de ménages en situation de précarité, d’exclusion sociale et/ou vivant dans les territoires les moins dotés en professionnels de soins. Cette situation s’analyse donc comme une absence de prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant ».
Dans une recommandation, le Défenseur invite l’État à apporter une réponse adaptée aux difficultés de la PMI afin de pérenniser ce service public qui a vocation à s’adresser à tous les parents. L’enjeu est notamment de préserver l’universalisme, l’ouverture à tous, tout en ayant une attention particulière pour les familles les plus précaires.
Le rapport de Michelle Peyron « Pour sauver la PMI, agissons maintenant » a eu le mérite de faire prendre conscience qu’il fallait agir. Le secrétaire d’État à la protection de l’enfance Adrien Taquet a déclaré : « La France fait partie des pays où les inégalités sociales de mortalité et santé sont les plus élevées en Europe. Et celles-ci n’ont aucune tendance à régresser ces dernières années. Ces inégalités de santé sont présentes dès le ventre de la mère et sont observées dès le plus jeune âge. C’est le défi qu’il convient de relever ».
L’État compte sur la rénovation de la PMI pour mettre en œuvre son « parcours des 1 000 premiers jours » (notion promue par l’OMS) pour accompagner les parents du quatrième mois de grossesse jusqu’aux 2 ans de leur enfant. L’objectif de la commission mise en place autour de Boris Cyrulnik sera de remettre un rapport attendu au premier trimestre 2020 afin d’élaborer un nouveau parcours s’inspirant d’autres pays (Finlande, Norvège) pour détecter les difficultés plus précocement, réfléchir aux congés de naissance et examiner le fonctionnement des modes d’accueil.
Espérons que les réformes à venir et les moyens seront à la hauteur des attentes. Faudra-t-il envisager un mouvement de recentralisation pour pallier les inégalités territoriales ?
Mais pour la médecine scolaire, qui reste la grande oubliée de la réforme du système de santé, il faudra encore attendre !
De toute façon, une forte mobilisation des pouvoirs publics, de l’ensemble des acteurs et de la société civile sera nécessaire pour renverser la tendance actuelle.
Au cours des dernières décennies, des progrès considérables ont été faits en ce qui concerne la réalisation des droits de l’enfant et l’amélioration de leurs conditions de vie et de santé qu’il faut poursuivre quoi qu’il en coûte !


par Jean-Pierre Lazarus, Pratiques N°88, février 2020

Documents joints


[1Mission sur les morts violentes d’enfants au sein des familles – Évaluation du fonctionnement des services sociaux, médicaux, éducatifs et judiciaires concourant à la protection de l’enfance, IGAS – IGJ – IGAENR

[2INSEE, La mortalité infantile est stable depuis dix ans après des décennies de baisse, 25 juin 2018.


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