Présenté par Christiane Vollaire
Un ouvrage collectif vient de paraître aux éditions Séli Arslan, posant dans son titre une double question d’apparence très naïve : Qu’est-ce qu’un bon patient ? Qu’est-ce qu’un bon médecin ? Question qui semble même quasiment moralisatrice dans sa formulation simplette.
Mais de fait, interrogeant la relation médecin-patient, l’ensemble de ces contributions ouvre un champ d’investigation nettement plus large qui étend la problématique d’une simple dimension relationnelle à une dimension sociale, et, au bout du compte, politique.
Les contributeurs sont issus des sciences humaines, du droit, de la philosophie ; mais aussi de la médecine, de la psychanalyse et de la psychiatrie, et tout simplement de cet ensemble infini que constituent les patients, passés, actuels ou potentiels, que nous sommes.
Le texte de Céline Lefève, contributrice régulière de la revue Pratiques, qui ouvre l’ouvrage, affirme, dans la filiation de la philosophie de Canguilhem, la réalité constante d’une appropriation des normes par l’individu : la revalorisation de la clinique et de la thérapeutique s’oppose à la fois à l’erreur épistémologique qui confond la médecine avec une science, et à la faute anthropologique qui tient la médecine pour une technique d’adaptation de l’individu à la société.
Le défi que ce livre tente de relever est de se tenir toujours sur la ligne précaire qui sépare une analyse descriptive de la réalité médicale, d’une interprétation prescriptive de ce que devrait être l’exercice médical pour être véritablement thérapeutique. Foucault discréditait en ce sens l’idée du « colloque singulier », comme une fiction pseudo-humaniste, une sorte d’euphémisation visant à masquer la réalité brutale et dépersonnalisante de la technologisation de la médecine. Cet ouvrage vise en quelque sorte non pas à réhabiliter cet artifice, mais à chercher à quelles conditions la nécessité thérapeutique, et véritablement vitale, d’une authentique relation patient/soignant, peut, malgré tout, se réaliser.
Ainsi est abordé le rapport entre la dimension juridique et la dimension éthique de cette relation, et la manière dont le droit peut moraliser un rapport originellement asymétrique et inégalitaire. Mais cette dimension éthique est sans cesse renvoyée à un contexte économico-politique susceptible de la contredire : la relation avec le patient est aussi une relation d’échange marchand, et la formation médicale, oscillant entre le privilège accordé au rapport économique et le privilège accordé à la dépersonnalisation « scientifique », laisse de fait peu de place aux interrogations légitimes qu’ouvre ce livre pluridisciplinaire sur la demande du patient, la responsabilité du médecin et les problématiques de l’échange et de l’autonomie.
Riche et varié dans ses approches, cet ouvrage interroge ainsi à la fois les attentes des médecins et les celles des patients (celle, en particulier, d’une continuité thérapeutique dans les ruptures qu’engendre la maladie), la question de la maltraitance et celle d’une médecine des familles, la question du soin sous contrainte et celle de l’urgence, celle des maladies chroniques et celle des soins palliatifs. Il tourne en dérision les représentations qu’une médecine machiste peut se faire du féminin, et recontextualise l’affaire privée que paraît être le soin de sa propre santé dans les enjeux historiques que constituent la crise de l’autorité médicale au XVIIIe siècle, et l’émergence d’un concept de santé publique lié à la question des épidémies. Il nous montre ainsi que ce qu’il y a de plus intime dans notre rapport à la santé ne saurait être d’aucune manière une simple affaire privée.
* Claire Crignon de Oliveira et Marie Gaille, Qu’est-ce qu’un bon patient ? Qu’est-ce qu’un bon médecin, Éditions Séli Arslan, 2010.