Pour le jour où ce sera mon tour

Mais qu’est-ce qui peut bien me pousser à aimer les vieux, oh pas encore comme dans la chanson « prenez un vieux »... mais aussi longtemps que je m’en souvienne, j’ai aimé les récits agrémentés de cueillettes, la répétition incantatoires de certaines histoires symboles de providence ou de générosité... J’adore lire les émotions dans les visages qui ont vécu, écouter les récits de la guerre, des batailles syndicales que sais-je encore...

A vrai dire, ce n’est pas tellement à la mode ! Pourtant, je vois bien que tout a dérapé et que mes héros sont sur la touche en maison de retraite ou en long séjour, voire qu’ils consomment du soin comme du « voyages organisés ». N’ont-ils pas cotisé pendant toutes ces années pour être pris en charge ? La vieillesse esseulée et consentante n’est-elle pas devenue la poule aux oeufs d’or d’un corps médical parfois peu scrupuleux ? Comment ne pas tomber dans les pattes des médecins avec tous ces cholestérol, diabète et autres scanners, ces petites douleurs qui empoisonnent et le cœur aussi.

Moi, j’écoute Marguerite pour le jour où ce sera mon tour. Si les choses les plus graves me sont épargnées, il me restera ce que l’on m’a déjà prédit, gènes obligent !

J’en reviens à Marguerite qui n’est autre que la bonne fée de mon enfance. Actuellement, elle a 87 ans. Que me dit-elle ? Au moment de ma retraite, il vaudra mieux que j’évite de me « retraiter » dans une maison trop belle ou trop grande pour moi, ce qu’a fait Marguerite au début, « Il faut aller à la rencontre de ses amis, faire des projets et écrire ses propres émotions et centres d’intérêts ». Marguerite lit beaucoup, s’intéresse au monde et à la politique. Elle vient de s’installer dans une maison de retraite, plus pour être à l’abri d’un soucis, que par nécessité, elle regarde les pensionnaires sans réussir à communiquer avec eux : « Elles ne parlent que d’elles, de leurs boutons et de leur mal à la tête et après au revoir ». Elle ajoute qu’elle est heureuse d’avoir appris Phèdre par cœur, de savoir chanter et de pouvoir se remémorer les nombreux concerts qu’elle a entendus plus jeune. De quoi vais-je me rappeler à son âge ? Quels auront été mes modèles les plus sûrs pour continuer ? Marguerite a puisé sa sagesse chez sa tante et sa grand-mère qui étaient respectivement chanteuse et costumière à l’Opéra de Nice. Elle me dit qu’elle a toujours cherché la racine des choses et, notamment, tenter de comprendre les raisons qui ont empêché sa mère de s’occuper d’elle. C’est ainsi sans doute qu’elle a fondé une Association Départementale d’Aide à l’Enfance ! Elle songe à participer maintenant à une « Ecole de la Vieillance » pour « apprivoiser les soucis quotidiens et continuer à rester libre et heureuse ». Elle est intarissable sur ses voyages, sur Ravenne qu’elle préfère à Venise, la « beauté » suscite pour elle « un jaillissement intérieur »... J’écoute Marguerite, j’oublie même tout ce qui m’attend : la canne ou le fauteuil, les proches qui iront m’attendre dans un ailleurs qui ressemblera qui sait à Ravenne ou aux silences habités qui suivent un concert réussi... et si en rêvant un peu, santé et sagesse trouvaient le même chemin, Marguerite en serait bien le témoignage vivant, moi en attendant, je pourrais continuer de vieillir l’esprit tranquille.

par Françoise Ducos, Pratiques N°19, octobre 2002

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