Reprendre le pouvoir
Aujourd’hui, si les soignés ont des reproches à nous faire, ce n’est plus tant l’arrogance brutale que la cécité et la complicité vis à vis d’autres pouvoirs plus ou moins occultés. Et pour les soignants, le pouvoir à reprendre, c’est tout simplement celui de faire vraiment notre métier. Contre ceux qui empêchent l’accès aux soins, contre ceux qui organisent des conditions de vie qui rendent malades, contre ceux qui se moquent des inégalités sociales de santé et de soins, contre ceux qui veulent que l’organisation du système de soins privilégie le paiement à l’acte et la technique, contre ceux qui acceptent que l’épuisement soit la rançon des soignants qui choisissent d’écouter, de faire de la prévention et de la coordination, et de continuer à se former.
Le pouvoir de la rencontre
Pourtant, la rencontre entre le soignant et le soigné peut être un espace précieux de résistance. A quelles conditions et comment ? Le pouvoir médical tient par des contraires qui s’adossent : pour le médecin entre savoir et humanité, entre certitude et humilité, pour le soigné, entre confiance et exigence. Il est donné au médecin par le patient, à condition que le médecin veuille bien à la fois le prendre et le partager. Il s’agit de multiples aller-retours d’une démarche tant cognitive qu’affective et politique, où soignant et soigné émettent des hypothèses à partir de leurs savoirs réciproques, pour mettre en place des décisions diagnostiques et thérapeutiques, et trouver ensemble les recours. C’est parce que je m’engage que je peux réfléchir et aussi exiger que l’autre se mobilise aussi.
Alors peut se dévoiler l’arrière-fond des problèmes de santé, pour chercher comment les aléas de la génétique, les carences matérielles, affectives et culturelles, les injustices sociales, l’histoire personnelle et la grande Histoire se sont imprimés autrefois et s’impriment encore dans le corps.
Cela se tisse différemment selon les cas. Bien sûr, cela fonctionne mieux quand il s’agit d’une pathologie connue qui laisse disponible pour entendre le contexte. Quand, par ignorance ou par fatigue, j’ai fait une erreur, continuer à être médecin, c’est de savoir privilégier le lien à la toute-puissance du savoir, en reconnaissant ma défaillance pour tenter d’y pallier. Parfois, pour des patients qui ont été malmenés enfants et qui répètent des impossibilités de s’occuper d’eux-mêmes, il s’agit de formuler « halte à la maltraitance », pour qu’ils puissent sortir de leur paralysie. Parfois, ce sont des personnes qui se méfient tellement de l’emprise d’autrui qu’ils ont besoin de mettre en échec leurs interlocuteurs, et là le pouvoir est de savoir reculer et d’évoquer le paradoxe de la coexistence du désir d’autonomie et d’aide. Mais aujourd’hui, ce qui freine le soin, ce sont moins les complications psychiques des gens, les drames de leur enfance ou la gravité des maladies, que la réalité sociale actuelle. Et là, la force du lien thérapeutique peut participer au mouvement pour changer les choses.
L’outil du témoignage
Actuellement, les médecins sont condamnés soit à renier leur mission, soit à être paralysés dans l’impuissance ou l’épuisement. A moins qu’ils ne fassent le choix de reprendre le pouvoir et de témoigner aux côtés des soignés.
Dans leurs difficultés de santé, les usagers, eux, se heurtent au silence des politiques. Pour reprendre le pouvoir sur leur vie, ils sont en droit d’exiger que les médecins renoncent à la passivité, reprennent la parole et participent avec eux à l’élaboration de réponses individuelles et collectives.