Nous vieillissons tous. Mais les femmes se décalcifient plus vite que les hommes, après 50 ans. A cause de la ménopause. La décalcification risque d’entraîner tassements et fractures, compliquant la santé et la vie. D’où l’idée, dans les années soixante, de donner des hormones de synthèse aux femmes après la ménopause. Ce fut un dogme : durant quarante ans, toute femme ménopausée devait se voir proposer un traitement hormonal. Pour faire reculer le risque de fractures, et protéger son cœur. Les femmes ayant des infarctus dix ans après les hommes, on pensait que les hormones ovariennes protégeaient les artères. L’illusion a pris fin ces dernières années avec les études anglo-saxonnes montrant un sur-risque de cancer du sein et de maladies cardiaques associé aux traitements hormonaux de la ménopause.
Retour en arrière, le traitement diabolisé doit être arrêté dès que possible, ne pas dépasser cinq ou dix ans, ne jamais être commencé. Ce qui ne simplifie pas la vie des femmes, trouvant d’autres avantages aux hormones, pour le tonus, la peau, les muqueuses et le désir sexuel... Mais cela a permis le dialogue entre femmes et médecins, obligés d’argumenter l’intérêt et le risque et de décider ensemble. Un dogme était mort, une norme tombée.
La décalcification reste un souci des médecins et des femmes. On sait à peu près quelles femmes risquent la fracture dans l’avenir : celle qui sont ménopausées tôt, qui ont pris de la cortisone, dont la thyroïde marche mal, ou qui sont maigres... Pour elles, on conseille, encore plus que pour les autres, de manger du calcium, marcher beaucoup, aller au soleil et ne pas tomber. Quand une femme se fracture, on essaie de savoir si c’est lié à l’ostéoporose, pour éventuellement proposer des médicaments (anti-résorption osseuse) avant qu’elle ne se casse encore.
Parmi les examens de ce diagnostic, l’ostéodensitométrie mesure un score de calcification au niveau du fémur et des vertèbres, comparée à la densité osseuse moyenne d’adultes de 30 ans. Les traitements donnés pour prévenir les rechutes sont contraignants, non sans risque (digestif...) et pour une longue période (à vie ?). C’est tolérable si le risque est grand, si l’accident s’est déjà produit, au choix des femmes concernées, informées par leur médecin.
Récemment, la Haute Autorité de Santé a conseillé de rembourser l’ostéodensitométrie pour la prévention des fractures chez les femmes ménopausées et inscrit dans ses recommandations les traitements préventifs de l’ostéoporose pour celles dont la densité osseuse est basse. Pourtant, il n’y a pas eu d’étude sur la stratégie de dépistage par l’ostéodensitométrie et les résultats d’une action thérapeutique qui en découlerait. On extrapole ce que l’on sait du risque et ce que l’on espère du traitement. Il y a eu un glissement, de la prévention des récidives après une fracture à la prévention des fractures pour toutes les femmes, sur des critères de calcification mesurée, avec des médicaments non sans danger.
Les femmes et les médecins ont entendu la nouvelle, et défini une nouvelle norme : toute femme ménopausée doit comparer sa densité osseuse à celle des femmes jeunes pour prévoir son risque statistique de fracture.
Les femmes, conseillées par leurs amies, informées par les médias, réclament une ostéodensitométrie, les gynécologues et les rhumatologues la prescrivent, les traitements préventifs se répandent, on répète les examens (tous les trois ou cinq ans ?). Au profit des radiologues (qui la conseillent) et de l’industrie pharmaceutique qui, ayant perdu le marché des hormones, en a trouvé un beaucoup plus lucratif.
Chassez les lobbies par la porte, ils reviennent par la fenêtre... Toute cette agitation médiatique et professionnelle autour d’une nouvelle norme imposée aux usagères et à leurs médecins ne favorise pas le dialogue ni la prévention.