Les migrants ne se représentent pas la vieillesse tout à fait comme les occidentaux. Ils se sentent vieux plus tôt. Dès la ménopause pour les femmes, ou après le mariage des enfants ou à l’arrivée des petits enfants quand ils reculent d’une génération. La vieillesse a des avantages quand ils ont vécu une vie difficile. C’est le temps de se reposer quand les enfants sont élevés, et que c’est leur tour d’assurer la survie du groupe familial. C’est le temps de la sagesse aussi. Fini les travaux durs, qu’ils soient celui des hommes, le bâtiment ou les travaux publics ou celui des femmes, les taches ménagères et le soin de la maison. Les vieux ont droit au respect et au repos. Ceci est vrai s’ils sont entourés par leurs enfants.
Mais pour d’autres, c’est dur de vieillir seul en exil parce qu’ils ont vécu dans des foyers, ou parce que la famille a éclaté sous la pression de conflits trop violents et mal réglés, signes de difficultés insurmontables à s’adapter à l’exil. La retraite et l’inactivité aggravent le sentiment de solitude.
La retraite, c’est le temps des questions. Le travail justifiait leur présence en France, inactifs définitivement, ils n’ont plus de légitimité à rester. Toute leur vie, ils ont attendu le moment du retour. Ce serait le moment, et pourtant ils restent. Ils découvrent que ce n’est pas facile de rentrer. Et pour cela, ils ont beaucoup de bonnes raisons : les enfants sont ici, en rentrant, ils perdraient une partie de leurs droits et puis en France, l’offre de soins est plus performante, plus accessible et plus sûre. Alors, ils font des allers et retour jusqu’à ce que leur état de santé les oblige à se fixer ici ou là-bas. Pourtant, s’ils restent c’est qu’ils n’ont plus toujours une place là-bas.
Au moment de la retraite, ils peuvent solliciter le système de soins pour anticiper la cessation de leur activité. Ils se sentent fatigués plus tôt, ils se sentent inaptes à poursuivre des travaux lourds et pénibles. Et c’est vrai qu’ils vieillissent plus vite. Il y a déjà là un malentendu. Ils demandent le respect dû à leur âge, on leur demande de travailler, ils se sentent vieux et usés, peut être surtout las, et on leur dit qu’ils sont encore jeunes. C’est le temps des questions, pourquoi sont-ils venus pourquoi ont-ils tout sacrifier pour le pays d’accueil ? Les médecins qui les accueillent, s’ils prennent la peine d’écouter, sont parfois entraînés dans des conflits avec les caisses pour les aider à trouver une solution.
Dans cette période de transition, entre le travail et la légitimité (retraite, invalidité…) à ne plus travailler, ils sont souvent malades. Ils ont des plaintes multiples, qui reflètent en partie cette interrogation, à propos de l’exil. Cette question longtemps et toujours remise à plus tard, l’espoir d’un retour définitif qui n’a pas eu lieu. Et là encore il y a souvent malentendu, nous parlons hypertension, lombalgies et diabète mais il est difficile d’aborder la question de leur place ici et là-bas.