Le parcours de la combattante

J’avais un peu plus de deux semaines de retard de règles. J’ai alors fait le test qui s’est révélé positif. J’étais complètement effondrée. Il s’agissait d’une relation sans lendemain, j’étais vraiment seule et ne pouvais pas garder cette grossesse.

Sur les conseils d’une amie, je consulte un médecin qui me dit : « Vous êtes juste dans les temps pour l’IVG médicamenteuse. Allez dans le centre de planification, ils vous donneront les comprimés. » Je prends ma journée et me rends au centre indiqué. Mais je découvre qu’il y a toute une procédure à respecter ; il est trop tard pour les comprimés et pour l’IVG, le délai d’attente est de trois semaines ! La conseillère que je vois me donne quand même différentes adresses.

Je prospecte toute seule par téléphone sans perdre de temps, il m’est difficile de prendre encore une RTT. Je contacte de nombreux hôpitaux et cliniques et chaque fois, je dois raconter mon histoire, c’est pénible et je ne suis pas toujours bien reçue. Dans une clinique, on me répond : « On ne les fait pas à plus de 9 semaines d’aménorrhées et vu les délais d’attente, ça ne peut pas coller. » D’autres me disent : « On réserve les places aux patientes qui ont accouché chez nous. » Ailleurs : « On inscrit en priorité les femmes qui habitent le département. » Je suis découragée. Dans un hôpital, on se permet même de me dire : « On ne fait pas ça chez nous et puis c’est si beau un bébé ! » Je sais ce que je fais et ce n’est pas de gaîté de cœur !

Enfin je trouve un hôpital qui me donne un rendez-vous la semaine suivante. Au téléphone, le ton est plutôt sympathique. Elle me dit : « Venez avec votre carte de groupe sanguin et une échographie. »
Je prends alors un rendez-vous d’échographie. En arrivant, je n’ose pas dire ma décision d’IVG et le médecin me montre l’écran, me fait entendre les bruits du cœur et me donne moult détails, de bons conseils classiques sans doute pour une future maman. J’ai envie de lui hurler à la figure que je ne veux ni voir ni entendre, qu’il termine vite surtout qu’il termine vite. En sortant, je suis anéantie.

Enfin le jour de la consultation arrive. Au guichet, la secrétaire me demande : « C’est pour quoi ? » Comme j’hésite, elle regarde le dossier et dit bien fort « Ah c’est pour une IVG ! » J’ai envie de pleurer.
En allant m’asseoir dans la salle d’attente, je me rends compte que je suis entourée de femmes enceintes jusqu’aux yeux… Je suis de plus en plus mal à l’aise.

Un médecin me reçoit. C’est une femme, ça me rassure et elle est agréable. J’aurais bien aimé lui parler un peu plus, mais elle est pressée. Je ressors avec la date prévue pour l’intervention et les horaires de consultation de la psychologue, au cas où je voudrais parler de tout ça !

Le jour de l’IVG, comme il n’y a pas assez de lits, je partage la chambre avec une femme qui est là pour un problème de stérilité. Nous entendons les bébés qui pleurent dans la nursery juste à côté, la culpabilité et la tristesse m’envahissent.

Ça y est c’est fait, « Tout s’est bien passé. » Je suis soulagée mais ne sors pas indemne de cette épreuve, il faut maintenant penser à soigner mes bleus à l’âme…

NDLR : Il s’agit là d’une femme parlant le français, bénéficiant de la sécurité sociale, claire dans sa décision d’IVG et dont les démarches ont été entreprises en dehors des périodes de vacances. Dans le cas contraire il ne s’agit plus du parcours du combattant, mais de la traversée d’un champ de mines !!!

par Eve Errance, Pratiques N°20, avril 2003

Documents joints

Lire aussi

N°20 - avril 2003

Collectif égalité-mixité

par Marie Kayser
N°20 - avril 2003

La contraception en questions

par Nathalie Bajos
N°20 - avril 2003

Femmes et hommes, des différences paradoxales

par Pierre Aïach
N°20 - avril 2003

La femme née de ses images

par Monique Sicard