Lorsque la crise éclate
Il était une fois un petit village de 1400 âmes aux confins de la Bourgogne. A deux heures de la capitale, les 3600 habitants du canton vivaient d’une tradition potière ancestrale et d’une agriculture en pleine mutation. Les deux médecins qui y exerçaient, les docteurs Brivois et Serin, aimaient leur métier. Lorsqu’ils s’accordaient des vacances, c’étaient avec plaisir que leur remplaçant, le docteur Jarny, venait depuis deux années. Jean Brivois, après trente-cinq années de bons et loyaux services commençait à réfléchir à sa retraite qui débuterait en 2003.
Michel Serin, quant à lui, est bien décidé à ne pas quitter cette Puisaye qui l’accueillit en 1986 et continue à vivre sa passion et à la transmettre aux stagiaires confiés par la faculté dijonnaise. En 2002, c’est d’ailleurs le jeune Frédéric Jacquetin qui est formé : il découvre ce métier pour lequel il s’était destiné : la médecine générale en milieu rural ; de nourrissons et femmes enceintes à centenaires en maison de retraite, il prend conscience de la nécessaire approche globale du patient. Il prend goût à cette richesse qu’offre la médecine rurale faite d’urgences assumées de façon conjointe avec les pompiers et les SAMUS de la région, au suivi des patients de façon longitudinale. En lui naît cette volonté de prévenir les maladies plutôt que de les guérir. Il aime ce rôle de coordinateur qu’a le médecin généraliste.
Parce qu’il est facile d’accès et que l’offre de soins est plus limité qu’en ville, le jeune Frédéric confirme son idée que l’exercice de sa passion de la médecine générale qui vient de germer ne pourra s’épanouir pleinement que dans la ruralité. Grâce à une bonne entente avec ses collègues, il s’aperçoit que la vie personnelle est compatible avec une vie professionnelle épanouissante, mais se dit qu’une association plus solide serait préférable.
Bref, la vie était sereine dans ce petit village et rien ne semblait pouvoir briser cette harmonie. C’était sans compter avec ces terribles fléaux qui commençaient à sévir : la démographie médicale et la mutation de la société : compte tenu des pronostics alarmants publiés par l’URCAM (Union Régional des Caisses d’Assurance Maladie) de Bourgogne en 1999, notamment en ce qui concerne la Nièvre, Jean Brivois ne trouvera probablement pas de successeur et Michel Serin ne veut ni ne peut assumer une telle surcharge de travail.
La communauté s’organise
Une des nombreuses richesses du milieu rural est que les forces vives se côtoient souvent sur de multiples fronts. C’est ainsi que la Communauté de Communes qui vient de se créer et souhaite améliorer les services à la population va réfléchir de concert avec Michel Serin sur un projet novateur, regrouper les professionnels de santé du canton sur un même site. La campagne gardera ses hameaux, mais les professionnels travailleront au sein d’un regroupement : l’union fait la force. Afin de maintenir les deux médecins, les deux infirmières le kinésithérapeute, le dentiste et l’entreprise de taxi (collaborateur essentiel par son travail de soutien de nos patients et leur connaissance sous une autre facette) passent à l’action (les services d’aide à domicile, partageant du personnel ne peuvent quitter le centre social). Ensemble, la croisade est lancée. Après la collectivité territoriale, les voici partis à la rencontre du directeur et de la présidente de l’URCAM de Bourgogne. Ils y reçoivent un enthousiasme stimulant qui débouchera sur un financement par le FAQSV (Fond d’amélioration de la Qualité des Soins en Ville) : aide au regroupement et fonctionnement jusqu’en décembre 2006.
Un nouvel espoir
La succession d’un médecin généraliste n’est plus le seul objectif, mais un projet plus innovant et plus ambitieux est né : la Maison de Santé. Elle permet de maintenir les professionnels de santé existants en développant une offre complémentaire afin de faciliter l’accès de la population à des soins absents du canton et lutter contre l’isolement des professionnels de santé. De fait, l’exercice interprofessionnel permet de placer le patient au centre du système de soins : accès aux soins, éducation thérapeutique et prévention.
Comme dans toutes les histoires qui commencent par il était une fois, vous lisez la traditionnelle « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfant ». Cette histoire ne dérogera pas à la règle. Ainsi après des mois où ce petit groupe apprend à se connaître, l’équipe s’étoffe avec des professionnels qui s’installent autour.
La famille de Christophe Jarny accepte l’idée de l’installation à Saint Amand en Puisaye, tout en habitant à Cosne sur Loire, deuxième ville de la Nièvre à 20 kilomètres. Le fond FAQSV alloué, les réunions de travail sont indemnisées et une secrétaire est embauchée quelques heures par semaine pour soulager d’une partie du travail et enrichir l’équipe de son expérience. De nouveaux professionnels se présentent : ils souhaitent changer de mode d’exercice, mais sans travailler seuls… C’est ainsi que le 2 mai 2005, la Maison de Santé Amandinoise ouvre ses portes avec : un kinésithérapeute, un dentiste, deux infirmières, une diététicienne, une antenne du centre médico-psychologique de Cosne (permanence d’infirmière psychiatrique hebdomadaire et mensuelle d’un psychiatre) trois médecins généralistes (Frédéric Jacquetin accepte de faire le troisième), une podologue, une psychologue, une ergothérapeute… rejoints quelques mois après par une sage-femme puis une orthophoniste neuropsychologue. La collaboration avec la CPAM de la Nièvre permet l’installation d’un relais CPAM : les secrétaires sont formées à un premier niveau de renseignement administratif et disposent d’un agent administratif référent. Les services d’aide à domicile rencontrés à l’occasion de difficultés avec des patients de plus en plus lourds se rendent compte de l’apport de cette structure, en particulier pour améliorer la coordination et soutenir les aides à domicile souvent en souffrance : c’est ainsi que l’Association d’Aide des Personnes Agées à Domicile décide de venir s’installer dans le magnifique grenier résiduel entraînant dans son sillage la médecine du travail inter-entreprise.
Des bouleversements au quotidien …
Le secrétariat est assuré de 8 heures à 20 heures tous les jours, jusqu’à 12 heures le samedi : plus d’appel téléphonique inutile favorisant l’exercice des professionnels et assurant une réelle permanence rassurante pour les patients. Les dossiers sont mis à jour en temps réels, une grande partie de la comptabilité et les relations avec le comptable sont gérées par le secrétariat ainsi que certains documents remplis, l’appel de certains patients, l’adaptation des INR…
La communication par messagerie électronique réduit encore les appels téléphoniques qui perturbent la consultation sans nuire à la rapidité des actions.
Non contents de se croiser dans les couloirs, les médecins décident de se réunir de façon hebdomadaire : finie la solitude, la culpabilité exacerbée… Maintenant, ils peuvent parler de leurs patients, d’eux, de leurs correspondants, de l’évolution de leur dossier informatique commun, de leurs cas cliniques et de la mise en place de référentiels communs dans la prise en charge de leurs patients. C’est la facilité de s’échapper quelques heures ou quelques jours, de partager une charge de travail trop lourde…
Les professionnels se rencontrent autour du patient, en abandonnant les antiques courriers manuscrits confiés au patient. C’est toujours un temps sympathique et rassurant pour le patient, sans parler de l’économie de temps et soins permettant une reconnaissance et un transfert de compétence progressif.
La prise de conscience des compétences des différents professionnels et leur volonté de prévention conduisent à l’élaboration d’actions de santé publique en lien avec les problématiques locales (collège, clubs des anciens, prévention des pertes d’autonomie)
Bilan à un an…
Finalement il est bien difficile de trouver des points négatifs, même s’ils existent (conjoint collaborateur lâchement abandonné, budget de fonctionnement important…).
Le succès immédiat de ce projet réside dans :
- La collaboration entre élus et professionnels de santé.
- La collaboration entre professionnels de santé et l’URCAM de Bourgogne ainsi que la CPAM et la MSA nivernaises.
- Un panel de professionnels de santé de soins primaires complet qui permet une prise en charge globale des soins et de la santé d’un bassin de population.
- Des rencontres régulières entre les professionnels pour améliorer la coordination, la formation interprofessionnelle et lutter contre l’isolement et la dépression des blouses blanches
- Une interface avec tous les réseaux de santé spécialisés, mais aussi participation à l’élaboration de réseaux en adéquation avec notre exercice.
« Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants » : c’est aussi l’émergence dans toute la France de Maisons interprofessionnelles afin de lutter contre le même fléau et même la création d’une fédération française des Maisons de Soins et de Santé.
L’histoire n’est pourtant pas finie, elle continue et qui sait le fléau « démographie des professionnels de santé en milieu rural » se verra vaincu, les nouveaux formés prenant conscience que l’exercice de leur passion dans toute sa grandeur et sans sacrifice de leur vie personnelle étant possible à la campagne.
A suivre donc…