J’ai commencé à connaître la Sécu il y a une trentaine d’années. Je me rappelle que ma mère m’y envoyait chercher ses remboursements. J’étais reçue par une hôtesse qui portait un uniforme et un chapeau. Elle souriait et me parlait d’une voix douce. Lorsqu’on venait à la Sécu, on pouvait y parler, de sa vie, de la maladie, des problèmes financiers, des difficultés face aux paperasseries administratives.
Aujourd’hui, on ferme les centres de proximité, le seul accueil qui permettait encore aux assurés de rencontrer des êtres humains. On parle de « traçabilité » (norme ISO 9001 oblige). On installe des plates-formes téléphoniques où une vingtaine de personnes, engagées à la va-vite sans aucune technicité ni connaissance de la législation en cours, ne disposent pour tout équipement que d’un logiciel informatique. Les temps de réponse sont chronométrés, chaque communication ne doit pas durer plus de trois minutes ! Un compteur est installé sur chaque ordinateur, les temps de pause sont comptabilisés (même pour aller aux toilettes). Les demandes des assurés nous sont transmises par messagerie, par ces même agents qui ne sont pas formés, d’où des erreurs, des questions mal posées ou incompréhensibles : il en résulte forcément un assuré mai renseigné. Le circuit est celui-ci : l’assuré appelle la plate-forme téléphonique (0,11 euro la minute), celle-ci lui laisse un message. Sur un logiciel de messagerie, le message nous parvient, nous rappelons l’assuré pour le renseigner. C’est un système lourd et coûteux tant pour la Sécu que pour les assurés, car le plus souvent, ils appellent à partir de leur téléphone portable. La plate-forme n’a pas le droit de donner nos coordonnées, c’est-à-dire que les assurés ne peuvent plus nous joindre directement. Il a été créé par ailleurs une plate-forme départementale qui réceptionne tous les courriers de la Caisse primaire, à charge pour elle de ventiler vers les différents services. En clair, un courrier qui est adressé au centre de production de B., par exemple, repart à T., là où est installée la plate-forme courrier, pour revenir à B.
Il y a aussi la suppression de l’accueil des personnes atteintes de maladies professionnelles. Ces maladies souvent graves demandent une gestion pointue, un personnel qualifié et surtout un contact humain. Auparavant, chaque technicien possédait son propre portefeuille d’assurés. Il en résultait donc une parfaite connaissance de leurs dossiers et surtout de leurs titulaires. Ce sont des personnes que nous étions amenés à revoir souvent et sur une période assez longue, d’où l’importance pour eux d’avoir toujours à faire au même interlocuteur, quelqu’un qui connaît bien leur histoire. On finissait par connaître les gens, mettre un visage sur un nom. On s’attachait à eux comme ils s’attachaient à nous. Il y avait une parfaite implication des agents, chacun étant responsable de son propre secteur. Aujourd’hui, c’est l’anonymat généralisé. Les agents sont déresponsabilisés et donc démotivés. Les conditions de travail se dégradent et la pression monte un peu plus chaque jour. Le manque de personnel se fait de plus en plus ressentir. Les assurés sont désinformés et complètement désorientés quant au suivi de leurs prestations.
On a totalement perdu de vue le côté humain de la Sécu, on voudrait qu’elle fonctionne comme une société privée, qu’elle soit rentable et non sociale.