Comment soigner les conflits d’intérêts ?

Il n’y a pas que le Formindep, le SMG ou Prescrire pour vouloir éliminer les liens de l’industrie (pharmaceutique ou des dispositifs médicaux) avec les professionnels du soin. Le très sérieux JAMA publie un article très documenté sur les effets nuisibles de ces liens pour l’intérêt des patients, et propose des mesures pour les centres hospitaliers universitaires, concernés au premier chef. Les hôpitaux où les étudiants sont formés, tout au long de leurs études, restent ensuite, pour les professionnels, des soutiens et des conseils influents. Les études montrent que les habitudes prises pendant la formation persistent tout au long de la pratique : d’où l’importance de l’objectivité et de l’intégrité scientifiques sur ces terrains ! Aux Etats-Unis, selon l’article, on en est loin ! En France aussi, les liens avec les fabricants sont étroits, que ce soit dans la recherche, ou dans les prescriptions.

Qu’est-ce qu’un conflit d’intérêt ? Un conflit d’intérêt survient quand un praticien se détourne de ses obligations professionnelles pour favoriser un intérêt personnel, financier ou non. Cela nuit à la rigueur scientifique et compromet parfois les intérêts du patient, puisqu’en général, on admet que le raisonnement scientifique rigoureux et objectif améliore la qualité des traitements. En général.

Les firmes, si elles sont capitales pour fournir médicaments et dispositifs, et si bien sûr, elles sont en charge de la recherche nécessaire, sont finalement redevables de comptes avant tout à leurs actionnaires. Il ne peut pas leur être demandé d’être d’abord préoccupées du bien public ! Elles développent une stratégie marketing très sophistiquée et très coûteuse, à l’évidence très payante ! Notamment, et c’est ce qui est détaillé dans l’article, dans les hôpitaux. Certes, il y a des recommandations pour que cela soit convenable : en France aussi les firmes sont limitées dans le montant de leurs cadeaux aux professionnels. Des études montrent cependant que les cadeaux de faible valeur modifient puissamment le comportement de celui qui reçoit : il se sent redevable, et va reconsidérer l’information et les choix qui en découlent. Le médecin qui a reçu un petit cadeau, ou a été invité à un repas, ou s’est vu offrir des frais de congrès, ou des frais de déplacement pour le congrès, recevra plus volontiers et plus chaleureusement le représentant commercial de la firme. A l’hôpital, le médecin qui va demander un ajout de médicament sur une liste hospitalière est statistiquement plus souvent celui qui a reçu un tel cadeau, même de faible valeur.

Aux Etats-Unis, la loi oblige les praticiens à déclarer leurs conflits d’intérêts. Mais même cela n’est pas suffisant pour résoudre le problème. Tout d’abord, la notion de conflit d’intérêt n’est pas exactement la même pour tout le monde... la révélation n’est donc souvent que partielle ; et de plus, les déclarations ne sont pas vérifiées. Les destinataires de la déclaration, lorsque ce sont des patients, sont des sujets en position vulnérable, et ce ne sont pas des spécialistes, il leur est souvent impossible de s’apercevoir que l’avis est biaisé. Enfin, révéler un conflit d’intérêt est souvent considéré comme ayant tout résolu, et on n’en parle plus.

Devant ces insuffisances, les auteurs font toute une série de propositions : zéro cadeau, ou aide financière, l’avantage étant qu’on n’a plus à réfléchir si c’est acceptable, ou non. Une autre source d’approvisionnement en échantillon de médicaments. Une autre source de financement de la formation médicale continue. L’établissement de listes de médicaments à l’hôpital devrait exclure les professionnels qui ont des liens avec les firmes, ceci devrait être contrôlé ; ceci pour que le choix des médicaments à l’hôpital soit basé seulement sur le meilleur niveau de preuve disponible. Les membres de la faculté devraient s’interdire d’être leader d’opinion pour l’industrie et donc s’interdire de signer des articles rédigés par des employés de l’industrie. L’activité de consultant, ou l’acceptation d’aide à la recherche par l’industrie resterait possible, mais avec des contrats explicites, définissant des prestations spécifiques restreintes aux résultats scientifiques. Le mieux serait qu’elles soient recueillies et gérées par l’institution universitaire. Il s’agit pour les auteurs de convaincre les dirigeants des centres hospitaliers universitaires d’adopter ces recommandations : ce ne serait pas si difficile. Les avantages sont évidents : les décisions seraient davantage fondées sur des preuves, et les résultats seraient susceptibles de s’améliorer. Les dépenses totales de prescription pourraient diminuer ! Enfin, l’absence de représentants commerciaux des firmes dans les couloirs, les réunions et les repas, augmenterait la sensibilité des étudiants en médecine aux valeurs de professionnalisme médical et d’honnêteté scientifique. La profession réaffirmerait ainsi publiquement son engagement à donner la première place à l’intérêt des patients.

JAMA, 2006 ; 295:429-433

par Martine Devries, Pratiques N°33, avril 2006

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