Petit aperçu historique de la contrainte aux soins psychiatriques et de ses effets possibles sur la praxis psychiatrique, automne 2010.

Ce projet de loi a été voté par le parlement le 5 juillet 2011, et s"applique depuis le 1er août 2011. La complexité de cette question nouant plusieurs champs -médecine, psychiatrie, philosophie, politique, sociologie, ...-, mérite de continuer de prendre le temps de la réflexion, tandis que les difficultés de sa mise en place et ses conséquences imprévisibles justifient de mettre à jour cette rubrique au gré de leurs évolutions.

Eric Bogaert

30 juin 1838

Après deux ans d’auditions de diverses personnalités de divers champs -médecins, philosophes, politiques, religieux, …, concernés par la question de la folie-, et de débats, le parlement de la République Française vote une loi qui a deux raisons : protéger la sociétés des fous, et les soigner. À cet effet sont créés un cadre réglementaire d’hospitalisation sous contrainte et dans chaque département un asile d’aliénés pour y soigner les personnes ainsi frappées. « Les aliénés » pouvaient être internés en « placement volontaire » sur la demande d’un tiers accompagnée d’un certificat médical établi par un médecin n’exerçant pas dans l’établissement d’aliénés, tandis que « toute personne dont l’état d’aliénation compromet l’ordre public ou la sécurité des personnes » pouvait être l’objet d’un « placement d’office » sur arrêté préfectoral motivé. Des certificats médicaux régulièrement transmis au préfet rendaient compte de la pertinence du maintien du placement au regard de l’évolution. La fin de la mesure était décidée par le préfet dans le cas d’un placement d’office, au vu de l’avis du médecin aliéniste, et par celui-ci en cas de placement volontaire. Il s’agissait de réglementer la privation de liberté par des dispositions garantissant contre l’arbitraire des lettres de cachet.

21 janvier 1967,

Henri Ey, Paul Sivadon et Lucien Bonnafé posaient déjà la question dans le « Concours médical » : « faut-il réformer la loi de 1838 sur les aliénés ? »( Faut-il "réformer" la loi de 1838 sur les aliénés ? (par Henri EY, Paul SIVADON, Lucien BONNAFE)). On peut lire également à ce sujet un entretien de Lucien Bonnafé à la revue VST (n ? 12, nov.-déc. 1989), « Légiférer sur les fous », VST - Vie sociale et traitements 2/2003 (no 78), p. 34-37. ?URL :www.cairn.info/revue-vie-sociale-et... DOI : 10.3917/vst.078.0034.

27 juin 1990

Deux cent ans après la révolution française, une révision de la loi de 1838 était symboliquement mise en chantier, qui aboutit laborieusement, en retard. Le placement devenait hospitalisation, le volontaire sur demande d’un tiers, tandis que l’office restait d’office. L’hospitalisation sur demande d’un tiers concerne les personnes « atteintes de troubles mentaux, si ces troubles rendent impossible son consentement, et son état impose des soins immédiats assortis d’une surveillance constante en milieu hospitalier » ; la demande du tiers doit être accompagnée de deux certificats médicaux dont le second peut être établi par un médecin de l’hôpital psychiatrique. L’hospitalisation d’office concerne « les personnes dont les troubles mentaux compromettent l’ordre public ou la sûreté des personnes », L’arrêté préfectoral doit s’appuyer sur un certificat médical circonstancié n’émanant pas d’un psychiatre de l’hôpital, tandis que le maire peut arrêter une mesure provisoire « en cas de danger imminent pour la sûreté des personnes attesté par un avis médical ou, à défaut, par la notoriété publique … à l’égard des personnes dont le comportement révèle des troubles mentaux manifestes », mesure provisoire devant être confirmée ou infirmée par le préfet dans les 24 heures. Des certificats médicaux sont produits au préfet tout au long de l’hospitalisation, à laquelle il est mis fin comme dans la loi de 1838. Des mesures d’aménagement sont crées pour « favoriser la guérison, la réadaptation ou la réinsertion sociale » des patients hospitalisés sous contrainte sous la forme de sorties d’essai, sous surveillance médicale, de durée inférieure à trois mois, mais renouvelable, décidée par un psychiatre de l’établissement en cas d’hospitalisation sur demande d’un tiers, par le préfet sur proposition écrite et motivée d’un psychiatre de l’établissement. Si cette révision renforce les formalités d’admission en ajoutant un certificat médical, pour chacune des modalités (avec toutefois des exceptions : l’HDT pour péril imminent peut se faire au vu d’un seul certificat médical émanant éventuellement d’un médecin exerçant dans l’établissement), elle rend possible que les médecins de l’établissement soient maîtres d’œuvre de ces mesures de contrainte aux soins. Le nombre des hospitalisations sous contrainte a explosé depuis la mise en place de cette loi du 27 juin 1990, qui devait être « évaluée » cinq ans plus tard, mais ne l’a pas encore été, bien qu’une commission créée à cet effet, tardivement, ait produit une évaluation longuement mûrie.

L’intervention de Jean Darrot à la « Nuit blanche de la résistance » à Lyon, le 9 mars 2010, fourni un arrêt sur image de l’histoire de la psychiatrie française dans le contexte socio-politique actuel (Intervention de Jean Darrot à la NUIT BLANCHE DE RESISTANCE Le Vinatier, 9 mars 2010).

2 décembre 2008

Après que, comme ça se produit parfois, un crime ait été commis par un homme présentant une maladie mentale, le président de la République tient à l’hôpital d’Anthony un discours caressant d’une gifle la profession et promettant des mesures durcissant les modalités de soin sous contrainte. Une circulaire, 6 semaine plus tard, donnait de l’argent pour enfermer derrière de plus hauts murs, fermer des portes d’hôpitaux, installer des caméras ou géo-localiser les malades mentaux contraints aux soins. Et une réforme de la loi du 27 juin 1990 était mise en chantier.

5 mai 2010

Un « projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et à leurs modalités de prise en charge » est enregistré à la présidence de l’assemblée nationale. On trouvera une rédaction du code de la santé publique modifié par le document de travail intitulé « Projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et à leurs modalités de prise en charge » tel qu’enregistré à la présidence de l’assemblée nationale le 5 mai 2010 : URL : http://www.uspsy.fr/IMG/pdf/revisio....

Que propose cette révision de la loi ?

Après l’avoir située dans son contexte historique, il faut resituer cette question de la contrainte aux soins dans le cadre du dispositif actuel du service public de la psychiatrie publique -cf « Qu’attendre de la psychiatrie ? » par Jean-Pierre Martin (http://www.uspsy.fr/spip.php?article1173)-, et dans l‘état actuel de l’hospitalisation en psychiatrie, dont Olivier Labouret dresse le tableau (1990-2010 : ETAT DES LIEUX DE L’HOSPITALISATION EN PSYCHIATRIE. (par Olivier Labouret)). D’abord, c’est une modification sémantique : la loi qui concernait l’hospitalisation sous contrainte traite maintenant des soins sans consentement : il ne s’agit plus d’une modalité de soin, mais du soin lui-même. La loi peut-elle s’immiscer dans le soin, peut-elle le régir ? Quels sont les prochains devoirs qui s’appliqueront au citoyen, à leur psychisme, à leur pensée, à leur corps ? Ensuite, les formalités d’admission sont allégées, au point que le certificat médical unique pourra être réalisé par un psychiatre de l’hôpital qui recevra le patient, c’est à dire par le psychiatre traitant, le plus souvent, du patient. Celui-ci non seulement pourra, mais devra, puisqu’il sera sans doute tenu pour responsable des actes du patient s’il n’est pas hospitalisé après la consultation, par la famille, le patient, les pouvoirs publics, leurs assureurs, que le patient se suicide, commette une infraction, un délit, un crime, … imposer ses soins au patient, et une privation de liberté. Plus curieux, cette loi institue des « soins sans consentement sur demande d’un tiers » sans demande d’un tiers, dès lors qu’il y aura péril imminent, sans que la loi ne dise ce qu’est un péril imminent. La conduite en état d’ébriété sera-t-elle considérée comme un péril imminent ? la consommation de toxiques ? la tentative de suicide ? La consommation de tabac, dont tout le monde sait maintenant qu’il tue ? -ce sera sans doute le juge, interpelé lorsqu’il y aura contestation, qui déterminera, à postériori, s’il y avait danger imminent ; enfin, surtout s’il n’y a pas eu mise en soins sans consentement, puisqu’on peut espérer (qu’est-ce que l’on ne doit pas dire !) que l’hospitalisation ne donnera pas lieu à évolution dramatique-. Certes là le certificat médical ne pourra être réalisé par un psychiatre de l’établissement ; voilà comment la porte de l’hôpital psychiatrique sera forcée par une famille ou un généraliste impatients ou expéditifs. En effet tous ces gens seront hospitalisés pendant 72 heures au moins à l’hôpital psychiatrique, qui souffre déjà souvent d’un manque de place. C’est dire qu’il y aura beaucoup plus de sorties rapides en soins ambulatoires sous contrainte. Et que les Centres Médico-Psychologiques vont devoir courir après les patients qui ne viendront pas en consultation, plus occupés à gérer les contraintes aux soins qu’à être disponibles aux demandes étranges ou anomales des patients et de leurs proches. Parce qu’en effet, cette loi crée aussi des » soins sans consentement en ambulatoire » : les soignants de la psychiatrie publique auront-ils le pouvoir de forcer la porte du domicile des patients qui n’obtempèrent pas aux soins ? à moins que le directeur de l’hôpital, qui devra être informé de tout manquement d’un patient soumis à des soins sans consentement ne devienne aussi officier de police judiciaire, envoyant les forces de l’ordre chercher l’insoumis pour qu’il ré-intègre l’hôpital. Pour ce qui me concerne, je vois de plus en plus de patients, voire de couples, qui déménagent, changeant de département pour fuir des services sociaux ou juridiques qui les traquent, essentiellement dans des histoire de menace de placement d’enfants, mais je commence à voir des malades mentaux faire de même pour échapper aux soins, lorsque la contrainte est levée. La psychiatrie va devenir l’espace d’incarcération et de police de proximité des personnes aux comportements -puisque c’est sur les comportements que sont maintenant bâtis les diagnostics par la médecine officielle et basée sur l’évidence, hautement autorisée- inhabituels ou outrageant les mœurs. On en trouvera d’autres prolongements dans la « présentation du projet de réforme de la loi de 90 » faite par Claire Gékière à Chambéry le 11 octobre dernier (Présentation du projet de réforme de la loi de 90 (par Claire Gékière)).

La maladie mentale est-elle une maladie ?

Le psychiatre de l’hôpital -il faudrait dire de secteur psychiatrique, puisque jusqu’alors c’était lui qui avait la charge de ce travail ; mais la loi « Hôpital, Patient, Santé, Territoire » est passée par là, une réforme du statut de praticien hospitalier probablement aussi (le décret vient d’être publiée : Décret n° 2010-1141 du 29 septembre 2010 relatif aux personnels médicaux, pharmaceutiques et odontologiques hospitaliers : http://www.legifrance.gouv.fr/affic... ), et le devenir de cette révision de la loi de 1990, ainsi que l’air du temps, néo-libéral, en augurent : la disparition du secteur psychiatrique et la privatisation de ses missions semblent programmés- devient ainsi juge et partie dans une situation où il a certes sa place de soignant, mais ne peut endosser l’uniforme du gardien de la paix, ni la robe du juge, pour imposer au patient une privation de liberté. Il s’agit là de la nature de la fonction de médecin, et plus encore de psychiatre : on peut envisager qu’il soit parfois nécessaire d’imposer par la force le respect des lois sociales, et notamment de l’intégrité des personnes et de la civilité des rapports sociaux, mais ce n’est pas une mission qui incombe au médecin. Sa fonction est d’être aux côtés du patient, d’écouter ses plaintes, et d’en soutenir le traitement propre à lui rendre l’usage de lui-même. Ce qui complique l’affaire, en psychiatrie, tient à la particularité de l’organe lésé : la liberté, à en croire Henri Ey. C’est dire que la clinique psychiatrique s’articule avec la politique, au sens d’organisation de la Cité. La maladie mentale n’est pas une maladie, elle est une modalité d’arrangement du sujet avec ses morceaux (de corps, d’affects, de pensée, ..), son histoire, et le monde, pour parler simplement. On ne peut la penser, la traiter, comme une maladie. Pour ce qui me concerne, j’aime bien l’expression de « trouble psychique », qui évoque que le sujet voit trouble avec ou dans son psychisme. Le trouble psychique, c’est donc le sujet lui-même, une de ses formes, un de ses bords. Il faut le dire, la folie fait corps avec le fou, elle est consubstantielle du fou -bien entendu, le fou c’est chacun, à sa manière-, et le traitement, médical -éventuellement médicamenteux-, psychique, social, est un acte médical quasiment chirurgical, de l’ordre du parage de plaie, de la greffe (de transfert), de l’exérèse ; un geste de trop ou trop appuyé, et c’est un bout du corps, du patient, qui saute. Les mots peuvent tuer. Mais notre espace de travail, c’est la relation inter-personnelle, et il est nécessaire qu’existe une asepsie du champ opératoire. L’exercice de la profession de médecin, y compris en qualité de psychiatre, n’est pas exempt de violence, mais dans ce cadre relationnel propre à la relation particulière entre le patient et son médecin. Peut-être y a-t-il des situations, des relations, où il peut être bien venu pour un psychiatre traitant de participer à la maîtrise d’œuvre d’une contrainte aux soins, mais c’est à apprécier à l’aune de la place qu’il doit occuper dans sa relation avec ce patient pour soigner celui-ci, et non avec un comportement d’un patient qui troublerait l’ordre social, ou pire, les mœurs. Et ce n’est pas là dire que l’exercice de la médecine place le médecin dans une situation de non-droit vis à vis de chacun de ses patients ; et pourtant c’est le cas : il y a cette fente, cet écart, entre la nécessité de respecter les lois sociales et d’être dans une place où on peut être amené à faire violence au patient, probablement le même écart qu’il y a entre la folie et la raison chez chacun d’entre nous, ou encore entre la clinique et la politique : il faut faire tenir ensemble des choses qui ne sont pas de même nature, voire qui se contredisent, ou même s’opposent. On ne peut imposer à un psychiatre d’être acteur d’une hospitalisation sous contrainte s’il y perd sa place de médecin traitant. Voir aussi sur ce sujet : « Spectres de la fête des fous » de Frédéric Bisson, pages 43 à 45 des Nouveaux cahiers pour la folie, à télécharger en cliquant sur le lien suivant : URL : http://affinitiz.com/space/nouveaux....

Eric Bogaert, psychiatre de secteur

lundi 1er novembre 2010

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