1 Le dictionnaire Garnier Delamare des termes techniques de médecine (19e édition, 1976) définit ainsi l’anonymographie :
« Rédaction et diffusion de lettres non signées, entreprises dans un but diffamatoire, le plus souvent par des femmes sexuellement refoulées et envieuses »
Cette mention de « femmes sexuellement refoulées et envieuses »disparaît dans les éditions plus récentes.
Nous pourrions rechercher dans les dictionnaires et dans les articles médicaux ce qu’il en est du discours sur la femme et sur la sexualité (les termes vaginisme et dyspareunie sont, entre autres, intéressants à étudier).
2 Dans le dictionnaire Garnier Delamare des termes techniques de médecine (19e édition, 1976) l’insomnie n’est pas définie.
Dans la 30e édition (2009) il y a une définition brève, brève et surtout stupide : « absence de sommeil (voir ce terme) »
Il y a des gens qui ont des difficultés à s’endormir d’autres qui se réveillent trop tôt ou trop souvent Les personnes ayant des insomnies auraient beaucoup de choses à en dire. Mais si elles ont des choses à en dire, c’est qu’elles ne sont pas mortes, ce qui serait assez vite le cas si l’insomnie était véritablement une ABSENCE de sommeil.
Il y a là une réflexion à avoir sur l’appauvrissement opéré par le langage médical .La réalité vécue par la personne (ici, la personne qui dort mal) est niée (dictionnaire de 1976) ou présentée de façon abrupte et fausse (2009). Et cet appauvrissement peut être mis en évidence dans bien d’autres domaines (crampes, sensations de bouche sèche, sensation de brûlures oculaires etc. etc.)
Je voudrais préciser ceci : j’ai écrit quelques mots sur l’anonymographie, non pas pour parler de cela, mais pour donner brièvement un exemple de propos sexistes à orientation idéologique pas très progressiste Je souhaite que les lecteurs lisant une énormité aient envie de réagir pour signaler d’autres énormités.
De même, lorsque j’évoque la définition de l’insomnie dans le dictionnaire Garnier Delamare, ce n’est pas pour parler de l’insomnie mais pour réfléchir avec les lecteurs sur les raisons de ces définitions pauvres (2009) ou même absentes (1976).
Je crois que si nous avions vraiment envie d’aider les gens qui dorment mal, nous en parlerions davantage avec eux et entre nous Je crois que seraient publiés des témoignages et des études et qu’il y aurait des échanges de lettres et des courriers de lecteurs. Il me semble probable que ces échanges aboutiraient à un vocabulaire plus riche Si, par ailleurs, des spécialistes français dialoguaient avec des russes des chinois des péruviens etc. etc. le vocabulaire français s’enrichirait des découvertes et des évolutions d’autres langues.
Concernant l’insomnie, je crois que les gens sont rarement hospitalisés pour ce motif-là. Or, l’essentiel du savoir médical, l’essentiel de la science médicale s’élaborent dans les services hospitaliers .Dans ces services hospitaliers, les « cas intéressants » sont soumis à des batteries de tests et d’analyses (scanner IRM Echo doppler etc. etc.). Parler avec quelqu’un qui dort mal des raisons pour lesquelles il ne trouve pas le sommeil prend du temps, n’aboutit pas à des courbes et de belles images Une personne qui dort mal n’est pas, dans ce système hospitalo-centré, un cas intéressant .Ce n’est pas publiable ce n’est pas une question proposable aux examens et concours.
Ci-dessous, un texte qui parle du langage.
Lettre à l’Ordre des médecins
Chers collègues
Dans le dernier bulletin de l’ordre des médecins vous publiez (N°35 mai juin 2014page 8 et 9) un article intitulé « Education thérapeutique Une sortie au bowling pour mieux gérer son diabète »
Les termes gérer et gestion apparaissent plusieurs fois dans ce texte :
- « L’après-midi débute par une séquence éducative sur la gestion du diabète lors des activités sportives »
- -Benjamin est venu « pour rencontrer d’autres diabétiques et échanger sur (leur) façon de gérer la maladie »
- « apprendre à nos jeunes diabétiques à vivre le mieux possible avec leur maladie en gérant leur activité physique »
- « Nous observons sur le terrain comment les jeunes gèrent leurs efforts et leur récupération »
- « Nous encourageons les jeunes à faire du sport, mais ils doivent apprendre à gérer leur pratique sportive »Je pense que le mot gérer peut s’appliquer aux domaines des affaires mais qu’il n’est pas adapté pour rendre compte de ce qui se passe chez un être humain vivant.
Parcourant plusieurs dictionnaires (Littré, Trésor de la langue française Petit Robert) il me semble que les termes gérer et gestion ne s’appliquent classiquement, ni aux maladies ni à l’activité sportive mais aux affaires.
Dans le texte que vous publiez il est question de la gestion du diabète mais il est question aussi de la gestion de l’activité physique et de la gestion de la récupération après exercice physique. Ce terme est-il indispensable ? Apporte-t-il quelque chose à la compréhension du diabète et de l’exercice physique au cours de cette maladie ?
Une amie à qui je faisais part de ce qui précède m’a dit « c’est vrai gérer est utilisé aujourd’hui pour tout et n’importe quoi c’est un peu comme le verbe faire. On fait la Tunisie on fait la Grèce… » Un autre ami pédiatre m’a dit que plusieurs mères confrontées aux pleurs incessants de leur nouveau-né lui disent « je n’arrive pas à gérer ses émotions ».
Il me semble surprenant d’utiliser le même mot de gestion pour parler de deux situations aussi radicalement différentes que celles du diabète et de l’ effort physique. En effet le diabète est une maladie permanente, un processus continu ; l’effort physique est une activité intermittente discontinue Lorsqu’on a un diabète, on a un diabète pour la vie, lorsqu’on a une activité physique elle n’est pas continue Ainsi quelle que soit la façon dont on « gère » son diabète celui-ci sera toujours présent après la gestion. En ce qui concerne l’activité physique quelle qu’en soit la « gestion » elle connaîtra des oscillations vers un plus ou un moins ainsi que des phases de disparition, au moins pendant le sommeil.
Il est bon que les malades et dans ce cas les diabétiques soient informés de ce qu’est leur maladie ; il est bon qu’ils sachent quels sont les facteurs qui peuvent interférer avec le cours de leur maladie et comment s’y adapter de la meilleure des façons. Il est donc souhaitable que ce qui dans ce texte est appelé« gestion » de la maladie soit développé. Mais il serait bon que cela qui relève de l’information de l’éducation de la motivation, qui relève de la rencontre entre une personne (le malade) et un médecin et des livres ne soit pas nommé du mot desséchant et inanimé de « gestion ».
Confraternellement
Jean-Pierre Lellouche
Pédiatre retraité