Âge légal de départ en retraite et arrêts maladie : quels effets du passage de 60 à 62 ans en 2010 ?

Ce recul du droit à la retraite s’est accompagné d’une augmentation des arrêts maladie ; celle-ci a été plus marquée pour les personnes ayant connu des évènements de santé importants dans le passé.
C’est ce que montre une étude [1] menée, auprès des salariés du privé, par des chercheurs du Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET) et publiée récemment dans Connaissance de l’emploi  [2].
Les auteurs ont étudié l’impact sur les arrêts maladie de la réforme des retraites de 2010 qui a reporté l’âge d’ouverture des droits à la retraite de 60 à 62 ans.
Pour cela ils ont pris deux cohortes de personnes, selon qu’elles étaient concernées (celles nées entre 52 et 54) ou non concernées (celles nées entre 46 et 51) par la hausse de l’âge d’ouverture des droits en 2010 et ils ont comparé la probabilité d’être en arrêt maladie de ces deux générations, aux âges situés entre l’ancien âge d’ouverture des droits et le nouvel âge d’ouverture des droits. Ils ont étudié 3 variables : le taux d’arrêt maladie, la durée moyenne et le nombre annuel moyen d’arrêts maladie.
L’étude a montré une augmentation de ces 3 variables chez les personnes, hommes et femmes, concernées par le report d’ouverture des droits.
Ces données ne sont pas très surprenantes. Les arrêts maladie ne concernent que les personnes en activité et le nombre de seniors en activité a augmenté suite à la réforme de 2010, puisqu’ils étaient financièrement incités à continuer à travailler le temps d’atteindre leur nouvel âge d’ouverture des droits.
Le recul de l’âge d’ouverture des droits à la retraite a eu des effets différents selon le genre, les catégories socio-professionnelles et la trajectoire professionnelle des personnes ainsi que selon leur état de santé :
-  L’effet a été plus prononcé pour les femmes que pour les hommes, s’agissant de la probabilité d’être en arrêt et du nombre d’arrêts, mais c’est l’inverse pour la durée des arrêts.
-  Les cadres, les professions intermédiaires et les employés ont eu une moindre probabilité d’être en arrêt et des arrêts moins fréquents et moins longs que les ouvriers,
-  Le taux de chômage pendant la carrière a été systématiquement positivement corrélé avec les 3 variables : probabilité d’être en arrêt, fréquence et longueur des arrêts ; cependant, ceci est vrai pour les hommes mais pas pour les femmes,
-  L’effet sur les 3 variables a été plus important pour les personnes en mauvais état de santé, que celui-ci soit estimé par un antécédent d’affection de longue durée (ALD), ou par le nombre de trimestres validés en arrêt-maladie entre 40 et 65 ans.
Ce report a aussi entraîné une augmentation du nombre de jours d’arrêt pour les personnes considérées comme en mauvaise santé (avec une consommation médicale élevée à l’âge de 55 ans) mais pas pour celles considérées comme en bonne santé.
On peut donc dire que le recul de l’âge d’ouverture des droits à la retraite a frappé plus durement les personnes qui étaient déjà dans une situation plus précaire tant au niveau santé qu’au niveau professionnel les faisant d’avantage basculer dans l’arrêt–maladie.
Il serait intéressant de connaître la répercussion de ce report sur l’aggravation de l’état de santé des personnes contraintes à rester en activité, mais cette étude ne permet pas de le savoir.
L’étude montre que l’effet du report d’âge d’ouverture des droits est plus prononcé pour les femmes que pour les hommes, s’agissant de la probabilité et du nombre d’arrêts, mais moins sur leur durée.
Elle montre aussi que la réforme des retraites a eu un effet plus fort sur la probabilité d’arrêt et sur le nombre de jours annuels d’arrêt pour les personnes ayant connu des événements de santé conduisant à des arrêts liés à des affections de longue durée (ALD) par le passé.
Les auteurs concluent que « l’allongement de la vie active dans le cadre de la réforme de 2010 prolonge la durée de cotisations à l’assurance-retraite, mais semble en même temps augmenter les dépenses liées à l’absence pour maladie chez les seniors après 60 ans ».
Il serait intéressant de connaître la répercussion du recul de l’âge de la retraite sur l’aggravation de l’état de santé liée à l’âge des personnes, mais cette étude ne permet pas de le savoir.
Les résultats de cette étude rejoignent le rapport « Charge et produits de l’Assurance-maladie » publié en juillet 2018 [3], qui montre que « 6 ans après la réforme des retraites, le coût des arrêts maladie est passé de 6,3 à 7,1 milliards d’euros », et pointe que « l’une des tendances de fond sur la période est la croissance de la place des personnes de 60 ans et plus dans les arrêts maladie ». Ce rapport fait l’hypothèse que « l’évolution de la structure d’âge des arrêts peut être la conséquence des réformes des retraites car elles ont augmenté la participation des personnes les plus âgées au marché du travail ».
Ils rejoignent aussi le rapport de 2019 de la Cour des comptes  [4] qui dénonçait le risque de précarité pour les milliers de seniors que le recul en 2010 de l’âge légal d’ouverture des droits de 60 à 62 ans avait fait basculer dans l’inactivité et dans l’obtention d’allocations-chômage et de minima sociaux
Pour conclure :
On peut bien sûr calculer ce que coûtent aux autres régimes (assurance maladie, chômage, invalidité) les reports d’ouverture des droits à la retraite.
Mais il faut avant tout dénoncer ce qu’ont coûté aux personnes concernées le report d’âge d’ouverture des droits de 60 à 62 ans en termes de bascule dans la précarité et en termes de vie « empêchée », frappant plus fort les personnes qui subissent déjà une situation précaire.
Et il faut surtout se battre pour éviter un nouveau report de l’âge d’ouverture des droits de 62 à 64 ans.


mercredi 22 février 2023, par Marie Kayser

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