Elisabeth Pénide, médecin généraliste, évoque : " Pour un petit xanthome (petite boule de graisse) de la paupière supérieure, mon ophtalmologue m’avait orientée vers un de ses confrères qui avait mis tout en branle, clinique, consultation anesthésique… etc. soit plus de 500 € pour la Sécurité sociale. Je m’étais pliée aux dires de ces médecins… Un an après, apparition d’un nouveau xanthome de la paupière, cette fois-ci enlevé à la curette dans le cabinet de la dermatologue : 28 € de tarif conventionné sans dépassement et pas de demi-journée de perdue.
L’ophtalmologue ne m’avait pas facturé de dépassement "entre chers confrères", mais pour Monsieur D. qui a une toute petite retraite et un « ptérygion » (épaississement membraneux de la conjonctive), en plus de la facturation à la CPAM du même ordre que pour mon xanthome, il a demandé un dépassement d’honoraires de 150 €, l’anesthésiste, 60 € … soit 210€ sur une retraite de 550 €, facturés à un patient qui fait l’effort de souscrire une assurance complémentaire, laquelle ne couvre évidemment pas les dépassements… L’anesthésiste annule facilement son dépassement, à ma demande, mais nous n’avons toujours pas de nouvelles quant à l’ophtalmologue…"
Les intéressés rétorqueront : "C’est la seule voie qui nous reste pour contrer la dégradation de notre revenu." Mais alors, posons la question : quelle différence, dans cette réponse, avec celle faite dans des pays réputés sous-développés, dont nous stigmatisons les mœurs, lorsqu’un fonctionnaire de police, par exemple, exige de nous un "complément de salaire" pour nous laisser franchir un barrage, sous prétexte que son gouvernement ne le paie pas assez ? Mais comme nous sommes un pays européen, civilisé, donneur de leçons renommé, nous avons trouvé le biais pour bannir les mots méprisables de "corruption" ou "bakchich" : nous avons inventé l’élégant "dépassement d’honoraires" !
Cependant, excusez du peu : 2 milliards de dépassements d’honoraires sur 18 milliards d’honoraires totaux[1], dont 70 % à la charge directe des ménages après prise en charge par les complémentaires. Prenons à présent un pays en voie de développement (sic) : P.I.B. : 3 milliards d’€. Supposons un taux de corruption évalué dans la région par la Banque mondiale à 25 % du P.I.B., soit 750 millions d’€. Multiplions par 4,5 pour tenir compte de l’écart de population avec la France : 3,4 milliards d’€ pour l’ensemble de la corruption. Voilà où nous en sommes : la seule "corruption" représentée par nos dépassements d’honoraires métropolitains atteint 60 % de la corruption totale, toutes sources confondues, de pays figurant parmi les victimes les plus spectaculaires de ce fléau. Des amateurs, on vous dit !
Mais, comme nous ne faisons pas les choses à demi, au pays du Roi Ubu, le Parlement est appelé à légiférer non pour lutter contre la corruption, mais pour l’organiser : vous êtes priés désormais de ne régler le péage au barrage qu’après production par l’agent d’une "information écrite préalable" et vérifié que le susdit s’est comporté avec "tact et mesure". (Nouvel article L. 162-1-14- 1du Code de la sécurité Sociale, inscrit dans le projet de loi H.P.S.T.)
Et puisque nous évoquons le dit projet, ces exemples devraient faire réfléchir, comme le rappelait Marie Kayser dans son article consacré au cas allemand ([2]), "à ce qui arriverait en France si les assurances privées géraient le risque au premier euro comme elles le demandent. Déjà, à l’hôpital comme en ambulatoire, c’est la possibilité pour les patients de payer des dépassements d’honoraires qui détermine la rapidité de consultation quand le nombre de spécialistes de secteur 1 est insuffisant."
Que penser alors des déclarations tonitruantes du Grand Architecte qui confirme : "J’invite l’Assurance-maladie à intensifier la lutte contre les gaspillages, les abus et les fraudes"([3]). Et de traquer les assurés déjà étranglés par les franchises, forfaits et autres taxes qui touchent directement leur budget familial, en les accusant des pires corruptions
Rappelons les faits : la CNAF, par exemple, a dû mobiliser 588 contrôleurs de terrain en 2007 pour déceler 6314 fraudes pour un montant de 58.3 millions d’€ sur un total de 66 milliards de prestations versées. Dans cette conférence de presse de rentrée de la CNAF (sept. 2008) on omet juste de dire combien ces contrôles ont coûté à l’organisme : plus que les économies réalisées sans aucun doute ! Tout cela dans le seul but de jeter l’opprobre là où l’on veut bien qu’il le soit...
Il est bien plus simple de stigmatiser ces familles nombreuses qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts, ces salariés mis à mal dans des entreprises souvent sans scrupules qui ne trouvent d’autres moyens de salut que dans l’arrêt de travail quémandé à leur médecin.
Nous pourrions resituer vraiment où sont les abus…
Ne serait-il pas plus important, pour en revenir à nos exemples, d’exiger des chirurgiens de tout ordre une pratique de petites interventions au sein de leurs cabinets, sans mettre en route des facturations ubuesques avec frais de salle d’opération, d’anesthésiste, pour des actes qui ne méritent pas autant de précautions ?
Ne faudrait-il pas exiger un accès aux soins pour tous et non pas décliné en fonction du degré d’apport personnel ? Ne faudrait-il pas déclarer que l’accès aux soins fait partir des droits de l’homme et qu’il ne peut faire l’objet de spéculations marchandes ? Est-il normal de comparer une assurance voiture et l’Assurance Maladie ???!!! Lorsqu’on voit les USA, pays qui a de loin le système de soins le plus onéreux - un système assurantiel -, réfléchir aux moyens de mettre en place une Sécurité Sociale généralisée, après l’élection du nouveau président, et la France mettre tout en œuvre pour détruire sa propre Sécurité Sociale au profit du secteur privé, on se demande où l’on va !
Ne serait-il pas plus juste de pénaliser les entreprises qui changent d’employés après les avoir bien cassés sur un poste non aménagé, et qui comptent sur la Sécu pour y "pourvoir" tout en ne voulant surtout pas voir leur cotisations augmenter ! Ne serait-il pas plus juste d’"inviter" les laboratoires à une seule tarification par molécule au lieu de multiplier les spécialités et présentations en tout genre et tout prix et accuser les malades de refuser les "génériques" !… Nous pourrions en décliner sur tant de pages…
Mais, encore une fois, où sont les abus ?