En 2020, un audacieux et honnête Homme

Éric Bogaert
Psychiatre de secteur retraité

J’ai lu dans Libération, le 27 décembre 2019, une chronique épatante, signée par Aurélien Barrau (professeur à l’université Grenoble-Alpes, astrophysicien au Laboratoire de physique subatomique et de cosmologie). J’en extrais des passages entiers de son texte (ci-après, en italique) que je résume en le rabotant dans sa chronologie afin d’en transmettre la substance avec concision et sans le trahir.

Nous manquons tellement d’audace...

Les anomalies de notre système politico-économique doivent mener à ... changer radicalement de modèle.
... difficile de ne pas considérer aujourd’hui que notre modèle politico-économique ... est grevé de tant d’anomalies que tout plaide pour un changement radical de paradigme. Ces anomalies ne sont pas marginales, mais existentielles. La vie sur Terre est en train de s’effondrer... La catastrophe ... exige une révolution de notre rapport à l’espace, à la nature, à l’altérité. D’indécentes, les inégalités sociales sont devenues obscènes.
Pourtant, un peu partout, les pouvoirs politiques se raidissent, optent pour des mesures gravement liberticides, musellent les lanceurs d’alerte, décuplent les pouvoirs de la police et des autorités de surveillance, durcissent la répression, développent une dialectique du mensonge qui ne se dissimule même plus, nient l’intérêt commun au profit de celui de quelques-uns, affichent un cynisme qui confine à la provocation, humilient les minorités, précarisent les populations, encouragent les forces mortifères et répriment les résistances salvatrices.
...
On peut — on doit — se battre sur « l’âge pivot » pour éviter que la réforme des retraites ne soit trop dévastatrice. Mais puisqu’il est question d’un régime « universel », ne serait-ce pas le moment de considérer ces mots avec sérieux ? Poser une question simple et de bon sens : une femme de ménage ayant, durant toute sa vie, mené un travail éreintant et sous-payé ne mérite-t-elle pas, au moins, la même retraite qu’un directeur de grande entreprise ayant déjà largement profité des douceurs de l’opulence et jouissant sans doute des économies suffisantes pour ne jamais y renoncer ? Le mot « universel » prendrait ici son sens ! La retraite doit-elle refléter les immenses disparités de la vie professionnelle qui la précède, et donc entériner — voire renforcer — les inégalités sociales ?
...
Trois choix s’offrent à nous ... continuer sur notre lancée et précipiter le pire (emporter le monde entier dans le suicide sale de la dernière éjaculation meurtrière d’une minorité d’humains décidant du sort de tous) ... ralentir un peu le processus (alterner, en quelque sorte, chimio et radiothérapies pour tempérer la prolifération tumorale) ... devenir sérieux (... interroger nos valeurs et comprendre comment nous avons pu en arriver à trouver que préférer la vie à l’argent est une position « radicalisée »).
Changer profondément notre système financier — et ce n’est qu’une partie de la solution — semble impossible. Il y a, dit-on, des « réalités économiques ». Peut-être. Mais il y a aussi des réalités physiques, climatiques, biologiques, médicales... Et, qu’on le veuille ou non, elles ne sont pas contractuelles : on ne peut pas les renverser par une simple décision. Elles relèvent d’un niveau de réalité plus « profond », moins arbitraire, et témoignent toutes d’un monde à l’agonie.
Pourquoi le système économique — celui-là même qui confère autant de richesse à une poignée d’humains qu’à la moitié de la population mondiale — nous apparaît-il comme intouchable alors même qu’il est une pure convention, absolument contingente et réfutable par simple décision ? Les dégâts irréversibles qu’il engendre relèvent hélas, quant à eux, de réalités non conventionnelles, ... ne peuvent être défaits par décision collégiale. Il est temps enfin d’être sérieux et posé, rationnel et raisonnable. Donc radical dans la recherche d’un ailleurs. Il est temps de voir que les anomalies innombrables appellent une révolution. Une révolution contre la mort, contre la bêtise, contre la suffisance. Une révolution bienveillante, aimante et prégnante. Il est temps de vouloir plus que quelques thérapies ciblées : il est temps de guérir.

... et d’honnêteté ?
En complément de sa question de bon sens, j’en aurais deux autres.
Une première, de « mauvais » sens, parce que de prime abord provocatrice. Pourquoi s’arrêter à réformer les retraites au motif de davantage d’égalité, et ne pas considérer également le régime des revenus du travail à cette même aune ? Si chaque euro gagné devrait donner à tous un même point de retraite, pourquoi une même heure de travail ne donnerait-elle pas à chacun le même nombre d’euros de revenus ? Ce qu’on pourrait prolonger par une autre question. Et pourquoi faire travailler son argent devrait-il rapporter de l’argent ? Si l’argent produit par son argent appartient au propriétaire de cet argent, pourquoi le travail produit par le travailleur n’appartiendrait-il pas au travailleur ? Et pourquoi le propriétaire de l’entreprise, quant à lui, ne gagnerait-il pas sa vie de louer l’outil de travail au travailleur ? C’est-à-dire, comment ré-inventer les rapports socio-économiques pour qu’ils soient au service de la vie plutôt qu’à celui de ce fétiche d’une jouissance mortifère, l’argent ?
Et une seconde, qui en découle, et dont la réponse permettrait peut-être de débloquer la situation. Qu’est-ce qui s’oppose à ce changement de modèle, qui semble le seul choix à même de guérir ? Probablement la jouissance, justement, le désir des puissants de continuer à jouir de ce que leur apporte l’argent. Voilà qui relèverait d’une thérapie plus psychanalytique que neurologique. Or le pouvoir en charge de la mise à disposition de la science médicale auprès des citoyens prend « FondaMentalement » l’opposé de cette orientation, dans un déni de la réalité psychique, effet de la croyance de leurs experts dans un modèle purement neuro-scientifique de l’homme. On comprendrait en tout cas ainsi pourquoi tant d’acharnement à « dévaluer » la psychanalyse ; histoire de s’épargner l’honnêteté de se confronter à ce qu’elle révélerait.


dimanche 29 décembre 2019, par Éric Bogaert

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