« Mais c’est un Homme… » Appel contre les soins sécuritaires

Ce projet de loi a été voté par le parlement le 5 juillet 2011, et s"applique depuis le 1er août 2011. La complexité de cette question nouant plusieurs champs -médecine, psychiatrie, philosophie, politique, sociologie, ...-, mérite de continuer de prendre le temps de la réflexion, tandis que les difficultés de sa mise en place et ses conséquences imprévisibles justifient de mettre à jour cette rubrique au gré de leurs évolutions.

Eric Bogaert

Les politiques sociales et sanitaires, les lois récentes et à venir transforment nos représentations : les soins y deviennent un marché concurrentiel et la « folie » y est représentée comme un état forcément dangereux.
Il est douloureux pour nous, et pourtant fondamental dans la période que nous vivons, d’avoir à rappeler que ce qu’on appelle un « fou », est d’abord un homme !

Après la loi « HPST » qui organise la concurrence entre public et privé lucratif pour les missions de service public, vient le «  Projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et à leurs modalités de prise en charge  », qui est l’application attendue du discours du président de la République du 2 décembre 2008.
Ce projet fait du « soin sans consentement » le modèle du soin psychique. Il
maintient l’exception française en Europe d’une loi spécifique pour le
traitement sous contrainte en psychiatrie, sans qu’un juge intervienne dans
l’autorisation de cette privation de liberté. En posant le principe d’un soin sous contrainte imposable tant à l’hôpital qu’au domicile du patient, il y ajoute l’atteinte à la vie privée. Ainsi, les patients, fichés et contraints, se verraient enfermés dans une véritable trappe psychiatrique : considérés à vie comme des malades mentaux potentiellement dangereux.

L’entrée dans le soin est annoncée de fait comme une garde à vue
psychiatrique de 72 heures
, durant laquelle toute action de traitement contraint serait autorisée. C’est plus encore qu’un régime de liberté surveillée, puisque pouvant autoriser toute intrusion dans l’intimité et le corps du patient.

Nous sommes également opposés à des soins sans consentement en
« ambulatoire »
. Ce serait la partie immergée d’une psychiatrie sécuritaire, autoritaire et paternaliste. Pour les professionnels comme pour les usagers ce serait accepter que l’obligation de moyens pour l’Etat en vue d’une psychiatrie d’accueil et de soin, soit au contraire celle de l’organisation d’un nouveau « grand renfermement » actualisé. Depuis décembre 2008, l’État a trouvé l’argent pour construire 4 unités pour malades difficiles, pour installer ou rénover des chambres d’isolement et installer la vidéosurveillance ! N’oublions pas qu’une telle disposition entre aussi dans le cadre de la nouvelle gouvernance : cela coûterait moins cher et cela pourrait donner lieu au développement de services à but lucratif.

Au vu de l’application de fichiers dans d’autres domaines (que nous
dénonçons), ce projet contient la perspective d’un fichage national généralisé de toute personne bénéficiant de soins spécialisés. Cette disposition adhère à l’amalgame entre « folie » et « dangerosité », amalgame que nous condamnons. Toutes les études sur le sujet en démontrent la fausseté. En insistant sur la figure de l’aliéné, le pouvoir justifie sa politique de la peur et la société de surveillance qu’il met en place. Tel est le véritable sens du « soin sans consentement » prévu dans ce texte

Citoyens, élus, usagers, professionnels, nous devons tenir bon.
Le soin psychique ne concerne pas que des « états aigus », des « troubles du comportement », auxquels la réponse unique serait simplement médicale, médicamenteuse et normalisatrice. Le soin psychique demande des approches complexes, des disponibilités d’accueil, d’écoute, d’accompagnement, d’hospitalité, des pratiques de négociation avec le patient et son entourage, avec des intervenants souvent nombreux, en difficulté, et aux intérêts différents. Cela implique que la « personne présentant des troubles psychiques » soit pensée et vécue comme un corps, une subjectivité singulière, une personne, un individu social, et un sujet de droit. Une telle fondation éthique a pu et peut toujours s’illustrer dans des pratiques concrètes. L’État se doit de les favoriser.

On comprendra alors notre appel pour une mobilisation publique contre un tel projet de « condamnation au soin », et contre le projet politique qu’il promeut.
Si une obligation de soin peut s’imposer, elle doit être cadrée de manière à
assurer l’articulation du droit à des soins garantissant la préservation de
l’intégrité de la personne et de ses droits, et de droits de recours effectifs. La
mise en oeuvre d’une telle obligation ne peut se dérouler que pour une durée limitée sous le contrôle de la justice dans un lieu de soins spécialisé agréé et assurant des soins 24h / 24. Nous soutenons qu’il est possible pour l’essentiel d’aménager des espaces et des temps d’accueil, de traitement actif de la demande des tiers, de négociation et d’élaboration avec une personne présentant un état psychique pouvant éventuellement conduire à un traitement contraint.

Il faut en finir avec l’exception psychiatrique ; le droit commun doit s’appliquer.
Il faut en finir avec le pouvoir du Préfet, qui a toujours signifié loi de police et mesure de sûreté. Il faut une mesure de protection de la personne, qui relève alors de recommandations médicales et d’une obligation de prendre soin pour les services psychiatriques dans le respect de la dignité de la personne et de sa parole, autant que d’une autorisation et d’un contrôle par l’instance d’un juge judiciaire.

Ce projet de loi est un leurre démagogique à l’égard des familles, des voisins,
de l’ordre public. Voté, il aurait des conséquences lourdes pour les libertés
individuelles, les droits collectifs et le soin psychique. Nous demandons
instamment aux parlementaires de repousser un tel projet. Nous invitons
professionnels, élus, usagers, citoyens à débattre partout et à faire valoir
l’alternative esquissée ici pour répondre à la situation.

Organisations Signataires  :
Collectif Non à la Politique de la Peur, Advocacy France, Association pour la
Recherche et le Traitement des Auteurs d’Agressions Sexuelles (ARTAAS),
ATTAC France, Collectif d’associations d’usagers en psychiatrie (CAUPsy),
Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et des maternités de proximité, Fédération pour une Alternative Sociale et Écologique, Fondation Copernic, Groupe Information Asiles (GIA), Groupe Multiprofessionnel des Prisons, Ligue des Droits de l’Homme, Nouveau Parti Anticapitaliste, Parti Communiste Français, Parti de Gauche, Parti Socialiste, Les Sentinelles Egalité, SERPsy, Solidaires, Sud Santé Sociaux, Syndicat de la magistrature, Syndicat de la Médecine Générale, SNPES-PJJ-FSU, Union Syndicale de la psychiatrie, les Verts.

Premiers Signataires individuels :
Alain Acquart, Infirmier de secteur psychiatrique, Sud Santé Solidaires ;
Étienne Adam, FASE ; Pouria Amirshahi, Secrétaire Nationale du Parti
Socialiste ; Michel Antony, Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et des maternités de proximité ; Maïté Arthur, Collectif d’associations d’usagers en psychiatrie (CAUPsy) ; Etienne Balibar, Philosophe, Professeur Emérite ; Sophie Baron Laforêt, psychiatre, Vice Présidente de l’ARTAAS ; Olivier Besancenot, porte parole du NPA ; Martine Billard, Députée de Paris, Porte-parole nationale du Parti de Gauche ; Fabienne Binot, secrétaire de Sud Santé Sociaux ; André Bitton, Président du Groupe Information Asiles (GIA) ; Guilhem Bleirad, Collectif Non à la politique de la Peur, Collectif des 39 La nuit sécuritaire ; Éric Bogaert, Psychiatre, USP ; Nicole Borvo, sénatrice, PCF ; Paul Brétecher, psychiatre, PROGRES/Agapes ; François Capron, Psychanalyste, Président de la société de psychanalyse de Tours ; Robert Castel, Sociologue ; Alain Chabert, Psychiatre, USP ; François Xavier Corbel, Ligue des Droits de
l’Homme ; Claude Corman, médecin et essayiste ; Pierre Cours-Salies, FASE ; Pierre Delion, Professeur de Psychiatrie ; Nelly Derabours, Sud Santé Sociaux ; Claude Deutsch, Advocacy France ; Françoise Devambez ; Gilles Devers, Avocat ; Bernard Doray, Psychiatre, CEDRATE ; Jean-Pierre Dubois, Président de la Ligue des Droits de l’Homme ; Antoine Dubuisson, Vice Président du GIA ; Cécile Duflot, Secrétaire Nationale des Verts ; Dumont Françoise, Viceprésidente de la Ligue des Droits de l’Homme ; Bernard Durand, Psychiatre, Fédération des Croix Marine ; Louis Dureu, Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et des maternités de proximité ; Martine Dutoit, Advocacy France ; Hélène Franco, Responsable nationale commission « Institutions, justice et libertés », Parti de Gauche ; Jacqueline Fraysse, Député, FASE ; Marie Gaille, philosophe, CNRS, codirectrice du Centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin ; Philippe Gasser, psychiatre, USP, ATTAC ; Claire Gékière, Psychiatre, USP ; Jean Luc Gibelin, Responsable commission santé et protection sociale, Parti Communiste Français ; Dominique Guibert, Secrétaire Générale de la Ligue des Droits de L’Homme ; Jean-Marie Harribey, Economiste ; Isabelle Hocher, Infirmière de secteur psychiatrique ; Marie Ines, SNPES, PJJ, FSU ; Albert Jacquard, écrivain et chercheur ; Pierre Januel, Les Verts ; Eva Joly, Député européen, Europe Ecologie ;Thierry Jouanique, GIA ; Serge Klopp, Cadre de santé, Parti Communiste Français ; Anik Kouba, Psychologue Clinicienne ; Annie Labbé, CAUPsy ; Olivier Labouret, Psychiatre, ATTAC, USP, LDH, commission santé des Verts ; Eric Labrune, GIA ; Thomas Lacoste, Cinéaste et Editeur ; Jean-Claude Laumonier, NPA ; Dominique Laurent, CAUPsy ; Pierre Laurent, Secrétaire National du Parti Communiste Français ; Antoine Lazarus, Groupe Multiprofessionnel des Prisons ; Anne Leclerc, Nouveau Parti Anticapitaliste ; Henri Leclerc, Président d’honneur de la Ligue des Droits de l’Homme ; Anne-Marie Leyreloup, SERPSY ; Claude Louzoun, Psychiatre, USP, Collectif Non à la politique de la Peur ; Christian Mahaut, Advocacy France, Jean-Pierre Martin, Psychiatre, USP, Collectif Non à la politique de la Peur ; Bernard Meile, Advocacy France ; Philippe Meirieu, Vice-président Rhône Alpes, Europe Ecologie ; Jean-Luc Mélenchon, Député européen, Président du Parti de Gauche ; Jacques Michel, Universitaire ; Miossec Yvon ; Françoise Nay, Médecin, Coordination Nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité ; Frédéric Neyrat, Sociologue ; Pierre Paresys, Psychiatre, USP ; Philippe Rappard, Psychiatre des hôpitaux émérite ; Gislhaine Rivet, Ligue des Droits de l’Homme ; Patrick Silberstein, Médecin, FASE ; Evelyne Sire-Marin, Magistrate, Fondation Copernic ; Taalba Farid, FSQP ; Michel Tubiana, Président d’honneur de la Ligue des Droits de l’Homme ; Jean Vignes, Sud Santé Sociaux ; Sophie Wahnich, Historienne,
Directrice de recherche au CNRS ; Elisabeth Weissman, Journaliste et essayiste.

Signatures à effectuer sur : www.maiscestunhomme.org

dimanche 31 octobre 2010

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