Jean-Pierre Lellouche
Pédiatre
Jusque dans les années 60, la médecine était pratiquée sur un mode paternaliste.
Les médecins étaient paternalistes et se sentaient bien de l’être.
Ils avaient par ailleurs un discours qui allait bien avec ce paternalisme. Ils parlaient de mon ou mes malades. Ils considéraient le malade comme un porteur de maladie et à la limite, le malade portait sa maladie pour que le médecin fasse preuve de son habileté à résoudre l’énigme que lui présentait le malade.
On demandait juste au malade de faire confiance.
Un président du conseil de l’Ordre des médecins avait décrit la relation du médecin avec le malade comme la rencontre d’une confiance avec une conscience.
Jusque dans les années 60 et même 70, on parlait couramment d’opérer l’appendicite de la chambre 10 ou le colon du 7.
Des diabétiques ont remarqué et fait remarquer que lorsque quelqu’un dit : Je suis diabétique, il s’agit le plus souvent d’un diabète de type 1 (insulinoprive) alors que quand il dit : J’ai un diabète, c’est souvent un diabète de type 2.
Celui qui dit : Je suis cancéreux ne dit pas la même chose que celui qui dit : J’ai un cancer.
- Être, avoir ou bien faire.
Quand un enfant a la rougeole ou la varicelle ou une verrue plantaire, les parents disent plus souvent il a la rougeole qu’il est rougeoleux, la rougeole (comme la varicelle et la verrue plantaire) sont perçus comme des états passagers. Ils ne sont pas perçus comme des états suffisamment intenses et prolongés pour définir l’individu et pour occuper tout l’espace.
Certains parents (surtout des mères) disaient : Il me fait ou Il m’a fait la rougeole. Mais personne ne dit : Il a rougeolisé.
Du moins personne ne le dit en France. En Tunisie, dans les années 50, la crainte de perdre un enfant de rougeole était telle qu’un dicton énonçait « Ne fais le compte de tes enfants qu’après qu’ils auront rougeolisé » (en arabe la rougeole hosba et faire le compte ahseb sont des mots qui se ressemblent).
Discours médical pour le médecin, discours médical entre médecins et discours médical adressé au malade.
Le syndrome Hellp est un acronyme anglais pour un syndrome observé pendant la grossesse (je dirai plus loin ma détestation et mon refus des acronymes et pire encore des acronymes anglais) et proche de la toxémie gravidique ou prééclampsie (je dirai plus loin ma gêne devant ce terme).
Hellp veut dire : H hémolyse EL elevated liver enzyme et LP low platelet (thrombopénie).
Si un médecin se dit à lui-même, il s’agit d’un syndrome Hellp ou s’il le dit à des collègues, il peut s’agir d’une façon de mettre un nom comme on mettrait une étiquette pour se souvenir de quoi il s’agit. En revanche s’il dit à la « malade », vous avez un Hellp, il lui dit quelque chose qu’elle ne connaît pas, dont elle n’a jamais entendu parler, quelque chose qu’elle ne peut pas maîtriser ou au moins s’approprier un peu.
Autres textes du même auteur à propos de la dénomination des maladies :
– Anorexie
– Convalescence