La méthadone sous sa forme gélule est enfin arrivée en France, alors qu’elle est commercialisée depuis plus de vingt ans dans d’autres pays d’Europe, mais bon, mieux vaut tard que jamais. Nos patients, hommes et femmes, qui pour certains d’entre eux, prennent ce médicament depuis 1994, attendent cela avec impatience depuis des années.
Passer d’un sirop alcoolisé et sucré aux gélules, ne plus transporter un nombre important de flacons (42 flacons à ramener dans le métro quand on est à 35 mg), ce rêve allait devenir réalité. La conférence de consensus de 2004 avait montré la nécessité et la faisabilité d’une primo prescription de la méthadone en ville. Elle était venue montrer qu’après dix ans d’expérience en ville de la substitution, le bilan était globalement positif, plus de 70 % des patients bénéficiaient d’un cadre satisfaisant aux guides de bonne pratique. Il y avait déjà la consultation obligatoire tous les quinze jours, l’obligation de nommer le pharmacien sur l’ordonnance, deux exceptions aux modalités classiques de prescription des opiacés.
Oui, mais c’était oublier les nostalgiques de l’abstinence, pour qui le toxicomane existe toujours, il est un bandit, et le médecin généraliste qui l’accompagne un incapable.
C’était oublier Foucault nous annonçant une société de contrôle toujours plus puissante.
1994-2008, après quatorze ans d’une pratique majoritaire d’accompagnement en ville des patients opiacé-nécessitants, au mépris des recherches, études, conférences de consensus, voilà qu’avec la mise à disposition des comprimés de méthadone, une tentative de retour en arrière s’opère. Tout patient désirant la méthadone sous forme gélule est obligé de repasser (passage obligatoire pour la primo prescription) dans un centre spécialisé (CSST, CARUD, CSAPA), deux fois par an et ce, à vie, afin de vérifier, contrôler que tout soit dans l’ordre. De plus, dans un certain nombre de cas, un protocole de soins avec le service médical des CPAM pourrait être mis en place. Deux contrôles valent mieux qu’un !
Cette remise en cause du travail effectué depuis quatorze ans, ces suspicions et ces pratiques d’exception sont une insulte à la médecine générale, aux pharmaciens, et à ces 20 000 patients. 20 000 patients suivi en ville ! Faites le compte, cela fait 40 000 consultations obligatoires par an pour nos collègues des centres ! Et surtout, un message réaffirmé haut et fort : le toxicomane français, comme la médecine générale française, nécessitent un rigoureux contrôle du fait de leur insuffisance, voire de leur incompétence. Ce contrôle, ainsi que la remise en ordre qui en est attendue, nécessitent de grands spécialistes de l’addiction.
Il s’agit d’une spécificité culturelle française dans l’Europe.
À qui la responsabilité de cette insulte, de cette décision hautement symbolique, mais dramatiquement stupide ? Personne ne la revendique. Si celle du ministère est évidente, celle du laboratoire pharmaceutique est souvent citée et celle des centres spécialisés n’est pas exclue. Ce parcours du combattant a-t-il été mis en place pour éviter que les personnes ne puissent accéder à la gélule dont le prix est pratiquement quatre fois plus cher que le sirop ?
Le plus dramatique est que pratiquement personne ne semble contester publiquement ce protocole. La médecine générale, les usagers, les pharmaciens comme les spécialistes semblent stupéfaits.
Depuis trois semaines que cela est sorti, un grand silence règne, nous n’entendons pas de plainte, nous ne voyons pas de pétition sortir, ni aucune demande de quelque collectif d’abrogation de cette modalité. Ce silence nous glace et ne nous annonce rien de bon.
Martine Devries**, Claudine Henry*, Marie-jeanne Martin*, Nassir Messaadi***, Bertrand Riff*
* Médecins généralistes maison médicale moulins Lille
** Médecin généraliste Calais.
*** Médecin généraliste maison médicale moulins Lille et praticien hospitalier CITD Lille