Un métier à apprendre

Mon fils est interne de spécialité dans une grande ville de province. Il n’a pas suffisamment réussi à l’internat (pardon, les ECN) pour rester à Paris. J’ai claironné : mon fils est doué, mais pas formaté…ce qui ne l’amusait pas, il aurait préféré mieux réussir. Par forcément pour rester à Paris, mais parce qu’il avait beaucoup bossé.

Pendant son externat, il me disait : j’aime l’accumulation des connaissances ; en stage, il s’adaptait partout, trouvait toujours des gens avec qui s’entendre, et avec qui apprendre. Tout en râlant contre les conditions de travail. Quel médecin sera-t-il ? Sûrement un bon technicien, mais c’est aussi quelqu’un d’attentif et humain, et qui s’intéresse à plein de choses. Je suis contente qu’il soit en province, il y a moins de concurrence et de spécialisation qu’à Paris. Il est aussi très critique sur l’industrie pharmaceutique et évidemment je l’ai abonné à Prescrire (et à Pratiques).

Quelque part, je l’envie. Mon cursus a été beaucoup moins serein. J’ai détesté l’hôpital, fait les études en touriste, trainé dans les couloirs en appelant à la grève, déserté les amphis, critiqué les professeurs et les chefs de clinique, préféré travailler comme aide-soignante ou infirmière que comme externe…

Je voulais être généraliste, j’avais bien vu que ce n’était nulle part enseigné (même pas de stage chez le praticien, à l’époque). J’ai appris beaucoup en relations humaines, mais très peu en connaissances médicales. Il faut dire que je ne savais pas apprendre, je ne comprenais pas ce que je n’avais pas vu, et personne n’était là pour m’expliquer.
Et quand j’ai fini, et que j’ai fait un stage de faisant fonction d’interne en province (il fallait bien que je m’y mette…) puis commencé à remplacer, ça a été la grande angoisse. J’ai dû presque tout apprendre sur le tas, en faisant marcher mes neurones, en demandant aux collègues, en regardant dans les revues et les livres. Au passage, des médecins fins et expérimentés m’ont fait confiance, et cela m’a beaucoup aidée. Mais je sais que c’était insuffisant.

Ensuite, j’ai beaucoup appris en organisant des séminaires de formation (sur les sujets que personne ne connaissait : sida, toxicomanie… ou pas confiés aux généralistes – à l’époque – (suivi de la grossesse…) et dans les réseaux. [1]

Aujourd’hui, je travaille avec de jeunes collègues, qui ont été internes de médecine générale, et parfois en ont bavé, je vois que leurs connaissances sont beaucoup plus solides que les miennes. Parfois trop techniques, et je le leur fais remarquer (à quoi servent toutes ces imageries et ces marqueurs ?). Mais elles discutent et s’assouplissent rapidement. Elles sont très à l’écoute des patients et beaucoup plus sûres d’elles que je ne l’étais pour ce qui est de la médecine technique.
Je fais partie d’un groupe de pairs où il y a des jeunes et des vieux, je vois bien qu’il y a des vieux et des jeunes très formatés, qui veulent appliquer les recommandations et s’en voudraient d’en dévier, et des jeunes et des vieux beaucoup plus dans le doute et l’interrogation et la souplesse. Les échanges sont très instructifs et tout le monde bénéficie de ces différences…

vendredi 3 octobre 2014, par Martine Lalande


[1Anecdote : avec mon copain, ensuite devenu prof de médecine générale, on animait des séminaires de formation pour les généralistes, et tout le monde admirait nos qualités pédagogiques : comment faites-vous pour si bien faciliter l’échange avec les experts, en posant les questions que personne n’ose formuler ? Réponse : parce que nous-mêmes on ne sait rien, on a absolument besoin des réponses… Certains ne nous croyaient pas, mais c’était vrai.

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