Enseigner hors les murs, par Catherine Jung - Pratiques N°19

Enseigner est un nouveau métier, un métier d’avenir en ce sens que c’est le moyen de donner envie à de jeunes confrères de devenir médecin généralistes.

Enseigner la médecine générale en ambulatoire, sortir l’enseignement des murs de l’hôpital, cela n’a pas été sans mal. Aujourd’hui, l’enseignement de la médecine générale a trouvé une place dans les facultés de médecine, même si cette place est encore fragile. Depuis 1997, une partie de l’enseignement est dispensée sous forme de stage auprès du praticien. Un des enjeux est de pouvoir donner envie à nos jeunes collègues de devenir médecin généraliste. En effet, ils sont nombreux à chercher des alternatives à l’ouverture d’un cabinet de médecine générale. La médecine libérale leur fait peur et ils sont encore persuadés que la médecine de ville est une médecine peu intéressante et peu gratifiante. Ils se sentent plus à l’aise à l’hôpital, entourés d’une équipe de professionnels sans avoir à se préoccuper de faire fonctionner leur petite entreprise.
La présence de résidents, de futurs généralistes dans les cabinets de médecine générale permet une découverte mutuelle et un enrichissement réciproque. Les résidents découvrent pour la première fois ce qui fera vraiment leur métier. Ils en avaient une idée assez floue, faite du souvenir de consultation pour eux-mêmes et ce qu’ils en avaient entendu à l’hôpital.

Nos patients : cobayes ou enseignants
Les médecins généralistes que nous sommes sont ainsi devenus maîtres de stage. Au début, nous avions peur de bousculer le colloque singulier, peur de trahir l’intimité des patients, peur que ceux-ci ne refusent les stagiaires. Nous avons été très surpris de découvrir que ceux qui consultent ne refusent que très exceptionnellement la présence d’un résident. Ils n’ont pas peur d’être cobayes, mais d’être soignés par des gens incompétents. En réalité, ils sont plutôt fiers de participer à la formation des jeunes et de pouvoir ainsi se rendre utiles.

Exercer sous le regard de la faculté
Ensuite, cela n’a pas été tout seul d’apprendre à consulter sous le regard d’un tiers qui nous paraissait être le regard de la faculté. Ce regard extérieur nous contraint à nous observer nous-mêmes. Comme d’autres, je m’imaginais que les connaissances des résidents, parce que plus récentes que les miennes, sont plus pertinentes et que mon jeune collègue sera enclin à juger ma pratique obsolète. Mais j’ai appris à profiter de ce savoir tout frais pour remettre à jour mes connaissances, apprendre du résident autant qu’il peut apprendre de moi. Par ailleurs, il m’a fallu clarifier les mécanismes des décisions. Expliciter tout ce qui me semblait être des manques par rapport aux guides de bonnes pratiques, ce que je croyais être mes petites compromissions ou mes négociations mal conduites. Il m’a fallu apprendre à expliquer pourquoi dans certaines circonstances, j’acceptais d’accéder à certaines demandes et pourquoi dans d’autres, je campais sur mon refus. Et pour expliquer tout cela, il m’a fallu d’abord comprendre tous les éléments qui interviennent dans une décision médicale. Ceci est une réelle formation, j’ai été obligée, sous le regard de l’autre, d’interroger ma pratique. En sa présence, je ne peux ronronner avec un savoir qui vieillit. Ce regard met en lumière mes manques, il provoque des questions. Même si tout ceci n’est pas formulé, même si le résident n’en dit rien, j’imagine ses questions ; et ça c’est déjà très formateur.

Un défi : donner envie de devenir médecin généraliste
Je me suis donnée pour mission (défi) de transmettre mon plaisir à exercer, donner à voir la richesse de notre métier, leur donner envie de prendre le risque de la rencontre. Faire percevoir le moment où dans une rencontre de soins, le praticien et le patient après avoir tâtonner ensemble, chercher un diagnostic, négocier un traitement, semblent avoir trouver un accord. Six mois de stage donnent du temps et permet aux résidents de se familiariser avec une pratique nouvelle. Cela nous donne aussi l’occasion de les voir consulter, de les aider à apprendre à utiliser leurs connaissances, d’interroger nos différences d’appréciation dans une situation donnée. Il y a un réel plaisir lorsqu’ils apprennent à se servir de leurs émotions, lorsqu’ils perçoivent que la rencontre a eu lieu. J’ai aussi apprécié le regard neuf sur de vieux patients que je connais depuis longtemps et avec qui la consultation se déroule selon un scénario bien rodé. Je me suis laissée surprendre par des nouvelles questions, par un entretien qui empruntait d’autres voies. La pièce soudain s’est enrichie de nouvelles scènes et l’intérêt de ces rencontres s’en est trouvé relancé.

Pas si simple d’être en même temps : enseignant et soignant
Mais ce n’est pas toujours facile de travailler avec un résident en stage. Lorsqu’il a de réels problèmes, tant relationnels, que cognitifs : ses connaissances étant parfois insuffisantes ou mal utilisées. De temps en temps, on rencontre des résidents qui ont des difficultés personnelles telles qu’elles ne lui laissent que peu de disponibilités pour apprendre. Il peut être envahi par la crainte de son avenir, la peur de ne pas être à la hauteur, l’inquiétude d’avoir à gérer une entreprise. Dans ces circonstances, j’ai souvent été frappée par la pertinence des patients. Ils savent réclamer un sourire ou encourager le résident. Il est arrivé qu’ils me fassent part de leur sentiment d’étrangeté face à un étudiant qui avait de graves difficultés psychologiques. Mais là, notre métier d’enseignant devient difficile. Il nous faut apprendre à jongler, être tout à la fois attentif à celui qui nous consulte, car c’est le cœur de notre métier et en même temps accompagner le résident dans son apprentissage.
Le stage permet de modifier de façon profonde et durable la perception de la médecine générale de nos futurs confrères. Ils sont souvent agréablement surpris. Ils découvrent que nous voyons aussi de la pathologie, souvent plus qu’ils ne se l’imaginent et ils sont alors rassurés de se retrouver en terrain connu ; mais ils découvrent aussi les gens, dans leur cadre de vie, avec leur savoir et leurs représentations. Ils entrevoient alors que c’est avec tout cela que nous travaillons et que c’est ce qui fait la richesse de notre métier.

Catherine Jung
Médecin généraliste

mardi 8 juin 2010, par Catherine Jung

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