Un blog nouveau... et deux décès

Journal d’un médecin de quartier

Pratiques inaugure son premier blog : le journal d’un médecin de quartier. Le thème traité peut paraître insolite pour fêter un début. C’est le choix qu’a fait le Dr S. A nos lecteurs de le commenter...

Comment commencer si ce n’est raconter ? La vie d’un médecin généraliste n’est pas toujours banale, nous l’allons montrer tout à l’heure…

Mardi après-midi, la salle d’attente bien pleine (comme on les aime…). La secrétaire m’appelle : « Dr S., un policier vient vous chercher pour venir faire un certificat de décès ». L’homme m’attend à l’accueil en tenue. Son véhicule de service juste derrière la porte. Çà ne peut pas attendre ! La secrétaire a juste eu le temps de m’expliquer que c’était pour M. C. 92 ans. J’avais eu un pressentiment le matin même, quand sa fille m’avait appelé pour me demander si je savais où était son père. Il ne répondait pas au téléphone. Comme il vit seul, elle allait voir chez lui…

Après avoir pris ma mallette, je monte dans la Peugeot 207 de la Police Nationale et nous faisons les 300 m pour rejoindre le domicile du papy. Je blague en lui disant que c’est la première fois que je circule avec la Police. Il habitait dans cette Cité jardins construite en 1938 pour accueillir les réfugiés espagnols, puis les logements ouvriers de l’usine d’état voisine. L’usine a fermé, les ouvriers sont tous à la retraite, partis ou décédés. Ils sont maintenant remplacés par une population défavorisée et surtout des familles gitanes sédentarisées. Tous ces patients sont ébahis de me voir sortir de la voitures des keufs, pour une fois que c’est pas une descente…

Je poursuis le gardien de la paix à travers le petit chemin qui longe deux bâtisses, la haie est mal entretenue, je dois éviter les flaques d’eau qui restent du dernier orage. Un groupe de femmes attend devant l’appartement, leurs visages tirés. Je les salue en reconnaissant la fille, puis je me dirige vers l’appartement où trois autres policiers montent la garde.

J’entre pour la première fois dans cet appartement. M. C. avait toujours refusé que j’y vienne. Il préférait venir me disait-il. Nous avions réussi à lui imposer le passage infirmier quotidien pour la préparation du traitement médicamenteux mais c’était tout juste. Il avait également refusé l’aide à la toilette (qui aurait pourtant été utile) et l’aide-ménagère, il se débrouillait très bien tout seul d’après lui. La fille et les infirmières m’avaient plusieurs fois signalé l’hygiène limite dans l’appartement. J’avais préféré temporiser pour respecter la dignité de cet homme. Il avait seulement accepté qu’on lui prépare les comprimés de PREVISCAN car il n’arrivait plus à les couper ni à gérer les changements de dose, ainsi que de porter le bracelet de téléassistance…

Maintenant, c’est trop tard ! L’appartement est vraiment dans un état déplorable, seule la Dépêche est neuve ! Et il est là par terre, nu, la tête à demi coincée dans le placard à vaisselle ; des assiettes répandues autours de lui, son slip sale à côté. Je m’approche… Je le touche, c’est froid et dur. C’est la première fois que je vois des lividités cadavériques de près, des indices d’une mort qui remonte à 48 heures certainement. Les mouches sont déjà là…

J’en peux plus, pas de signe de mort suspecte, vite le certificat qu’on en finisse ! Et merde, je l’ai oublié sur mon bureau avant de partir. Il me ramène rapidement, je cherche sur mon bureau, rien ! Tu m’étonnes, je l’avais mis dans une poche latérale de ma sacoche, je dois être un peu sous le choc. Allez vite, on y retourne, je dis rien au policier ni à la famille qui attend toujours dehors. Cinq minutes pour le certif’, cinq minutes pour des condoléances à la famille et retour au cabinet, cette fois ci pour de bon !!!

Samedi matin, je viens à peine de prendre la ligne téléphonique qu’une patiente m’appelle, sa mère Mme M. vient de décéder à 96 ans. Il faut un certificat de décès… Heureusement qu’il n’y a pas encore de patient, je repars en vitesse, c’est à 400 mètres.

Je sonne, une des filles vient me chercher en bas de l’immeuble. Elle m’explique que c’était plus ou moins attendu. Sa mère avait décidé de ne plus manger depuis 3 jours, qu’elle avait averti tout le monde, réglé ses dernière affaire. Son autre sœur et elle l’avaient veillée depuis, patiemment, tendrement, que c’était bien comme çà…

Et là, un tout autre décor, deux filles et une petite fille souriantes, détendues, apaisées. Une chambre coquette, lumineuse. Une dame encore tiède dans son lit, son visage encore beau. On pourrait croire qu’elle dort, mais le stétho est muet…

Ces deux-là étaient bien différents, mais ils ont eu droit tous les deux à une dernière visite respectueuse.

En hommage à ma grand-mère, Moïsette, décédée quinze jours auparavant à cent ans et quatre jours, et à qui je dois ma vocation.

jeudi 4 avril 2013, par Docteur S.

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