Franck Lepage
Conférencier gesticulant et militant d’éducation populaire.
« Dans les sociétés où règne le mode de production capitaliste, la richesse se présente sous la forme d’une gigantesque accumulation de marchandises... » etc. La célèbre première phrase qui ouvre Le capital de Karl Marx éclaire la gouvernance mondiale de l’épisode Covid-19.
Luc Boltanski et Arnaud Esquerre [1] montrent comment l’extension du domaine de la marchandise atteint des domaines que l’on aurait pu croire préservés. Avec les pandemic bonds, les épidémies se jouent, s’achètent et s’échangent en bourse, comme avec les cat bonds se vendent les tsunamis et les catastrophes naturelles. Dans un État au service des multinationales, nos corps sont des objets de profit à l’intérieur d’un système dans lequel le soin est devenu... une marchandise. Les personnes elles-mêmes sont incluses dans cette marchandise. La gouvernance anxiogène des populations dans une stratégie de la peur, la disproportion entre cette coercition mondiale et la létalité réelle du SARS-CoV-2, la suspension des droits fondamentaux, les confinements, les masques dès six ans, préparent des opinions publiques à des vaccinations obligatoires, qui représentent un pactole. Nos corps sont la nouvelle ruée vers l’or. Illustrations à travers deux exemples.
LA T2A de Castex, Bachelot et Chirac
Quiconque s’est fait opérer des hémorroïdes en « ambulatoire » (sic) sait de quoi je parle. Pris d’un courage inexplicable, et lassé d’endurer cette gêne qui affecte un Français sur quatre, vous avez imprudemment franchi le pas de vous faire opérer. Vos navigations sur la toile vous ont appris que vous deviez vous attendre à « trois semaines de douleur intense ». L’opération a lieu mais, à cause de l’anesthésie, ce qui reste encore de loi dans ce pays interdit à l’hôpital de vous laisser conduire le jour même si vous êtes seul. L’hôpital est obligé de vous garder une nuit. Pour le directeur de l’Agence régionale de santé (ARS), vous êtes désormais un « bed blocker », mais le lendemain, vous êtes jeté sur un parking avec votre valise, l’anus découpé et recousu à vif, suturé par des agrafes ou des fils, vous voyez votre voiture au bout du parking, mais vous êtes incapable de marcher (d’ambuler) pour l’atteindre, ou de vous asseoir pour conduire les 50 minutes qui vous ramènent chez vous entamer seul vos trois semaines de douleur intense. Lorsque mon père s’était fait opérer des hémorroïdes, en 1970 ; il en avait profité pour arrêter de fumer car la clinique l’avait gardé deux semaines. J’aurais voulu qu’on me garde cinq jours au moins bourré de calmants, qu’on me parle, qu’on me rassure, j’aurais voulu être soigné. Je me suis tordu comme un ver sur mon lit, seul des jours durant, mais j’ai libéré un lit pour que le gestionnaire de l’hôpital puisse présenter un ratio qui lui assure une prime de fin d’année par l’ARS. Un jour, quelqu’un, quelque part, un fou, un sadique, un gestionnaire passé par une école de commerce, ou simplement une ordure banale du capitalisme médical — pas même méchant, pas même conscient —, qui a voté OUI au traité constitutionnel européen de 2005 planifiant la liquidation des services publics et leur transformation en « agences », a décidé de passer l’opération des hémorroïdes en ambulatoire. Souhaitons-lui cette ambulation.
Le marché des apnées du sommeil
Le jour où votre compagne vous menace de faire chambre à part si vous ne faites pas quelque chose pour vos apnées du sommeil, vous prenez rendez-vous. On vous a parlé d’une machine dont les utilisateurs ne peuvent plus se passer, et vous faites le test : une nuit avec des capteurs. Le lendemain, un spécialiste en blouse blanche analyse votre sommeil sur un écran et vous contemplez un diagramme de vos apnées. Après deux heures, vous pensez secrètement être en danger de mort nocturne imminente. On vous demande si vous avez envie d’essayer cette machine, mais on vous prévient que si vous la prenez « c’est pour la vie » (sic). Comme on vous laisse entendre que la diminution du risque cardio-vasculaire lié aux apnées est aussi un allègement de la charge pour le futur de la Sécu. Vous faites une bonne action ! On vous confie la machine en vous informant qu’un représentant de la société privée qui la fournit va se présenter le soir à votre domicile installer la puce (le mouchard) qui permet à la Sécurité sociale de vérifier que vous utilisez bien cette machine, pour qu’elle ne rembourse pas pour rien les 20 euros par semaine et par machine à la société qui les fournit. Un rapide calcul vous permet de comprendre qu’avec 52 semaines dans une année, c’est possiblement mille euros par an et par personne appareillée que touche cette société. Dans une réponse écrite au Sénat en avril 2013, le ministère de la Santé soulignait que les remboursements pour ces traitements avaient atteint 360 millions d’euros en 2011. Vos recherches ultérieures vous révéleront qu’un million de Français ont cette machine en 2020, ce qui fait rentrer annuellement un milliard d’euros dans les comptes de ces sociétés qui entrent en bourse pour votre bien. Vous êtes en train de comprendre que la Sécu — dont on vous accuse de creuser le trou — est une machine à sous de l’industrie... Vous qui pensiez venir acheter une machine à utiliser à votre guise, vous découvrez que c’est impossible, que c’est un contrat à vie (on ne rigole pas avec sa santé), mais vous n’êtes qu’au début de vos surprises.
Vous êtes en plein déménagement et vous refusez la demande de la société d’envoyer quelqu’un chez vous le soir en question, pour « vérifier l’installation de l’appareil dans votre chambre, et installer la puce » (la télésurveillance qui transmet vos données de sommeil à la Sécu). Graduellement, le ton se tend et la pression augmente. Vous rappelez qu’il ne s’agit que d’un essai. Et de toute façon l’essai s’avère... détestable. Après une nuit épouvantable affublé grotesquement d’un masque et de ses tuyaux près d’un appareil à soufflerie, dont on vous dit que l’on finit par s’y habituer, vous virez le tout et finissez votre nuit pour vous réveiller avec la luette enflée par le courant d’air continu dans votre gorge. Votre opinion est faite, vous rapportez l’appareil à l’hôpital... qui le refuse... La secrétaire du service vous explique que vous ne pouvez renoncer à cet appareil qu’en la double présence de votre pneumologue et du technicien/commercial de la société privée. Vous commencez à vous sentir cerné. Vous redites que vous ne voulez pas de ce truc, que l’essai s’avère infructueux, que vous ne donnez pas suite et vous laissez l’appareil sur le bureau de la secrétaire qui n’en veut pas et refuse de le prendre, mais vous tournez les talons et sortez de l’hôpital.
Sous prétexte de santé, pendant des jours, vous serez relancé au téléphone par un « technicien » de la société qui exigera que vous acceptiez un rendez-vous avec lui en présence de votre pneumologue. Vous devrez le menacer de vous plaindre pour harcèlement et tentative de « vente forcée » pour qu’ils renoncent à vous appeler. Votre frère vous racontera de son côté qu’il avait également refusé une machine et qu’on lui avait fait savoir qu’on avait le pouvoir de lui faire retirer son permis (vous avez imprudemment rempli un questionnaire dans lequel on vous demandait entre autres questions, s‘il vous arrivait de somnoler au volant, de somnoler après les repas, etc.).
Que faut-il retirer de tout cela et de l’accumulation de DATA sur notre santé pour notre bien ?
Soit vous êtes dans une série sur Netflix, où une multinationale fait du lobbying auprès des pneumologues pour caser ces machines, vous vous êtes endormi sur le canapé une zapette à la main et vous allez vous réveiller, soit nous sommes dans un système global, où le capitalisme se sert de tout ce qui lui tombe sous la main pour faire du profit : ici, nos corps. Le plus légalement du monde. Ni racket ni complot. Mais un marché : celui de notre santé. De même que l’on parle déjà de « délinquants thermiques » à propos des gens qui ont une mauvaise isolation, les lobbyistes qui essaient de faire reconnaître l’apnée du sommeil comme grande cause médicale auprès des instances de l’Union européenne feront bientôt de nous des délinquants médicaux qui n’enrayent pas le risque cardio-vasculaire et refusent de les enrichir... pardon, de se soigner !