Ils ont écrit : Le plan Alzheimer : Une lacune grave : Rien n’est prévu pour la prévention, par Henri Pezerat et André Picot

Le plan Alzheimer : Une lacune grave : Rien n’est prévu pour la prévention.

Il est admis à ce jour une prévalence, c’est-à-dire un nombre de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, d’environ 800.000 cas pour la France, dont environ la moitié serait diagnostiquée. Et il est prévu une croissance continue de l’incidence de cette maladie dans le monde. Paradoxalement, dans le " plan Alzheimer ", rien n’est prévu pour développer la prévention.

Chacun s’accorde à dire que cette maladie est pluri-factorielle et que les processus biologiques responsables du vieillissement y jouent un rôle important. Pour leur part les facteurs génétiques n’interviennent –semble-t-il - que dans moins de 10% des cas. A âge égal, la répartition géographique des cas de maladie d’Alzheimer n’est pas uniforme : la maladie est avant tout propre aux sociétés industrielles développées, d’où le rôle probable de facteurs liés à l’environnement, y compris social, prenant en compte l’insertion de l’individu dans la société, facteurs qui relèvent de l’activité cérébrale elle-même, très sollicitée et stimulée, ou mise en sommeil, non soumise à l’effort chez des personnes isolées et marginalisées.

Mais il existe également des facteurs liés à l’environnement physico chimique, dans la mesure où les processus biologiques du vieillissement sont aujourd’hui largement reconnus comme liés aux phénomènes dits de stress oxydatif, c’est à dire d’agression oxydante sur l’ensemble des organes fortement oxygénés. Or il est totalement admis que des facteurs environnementaux interfèrent avec les processus d’agression oxydante, soit pour les freiner, soit pour les accélérer.

Parmi ces derniers facteurs, depuis plus d’une quinzaine d’années, une dizaine d’études épidémiologiques dans plusieurs pays ont mis l’accent sur un rôle probable de l’aluminium dans l’eau de boisson, sa présence et son taux étant principalement dus aux traitements industriels que subissent les eaux superficielles avant d’être distribuées comme eau potable. En effet l’ajout de sels d’aluminium dans ces opérations permet de faire précipiter nombre de micro particules organiques en suspension.

Des enquêtes ont eu lieu en Norvège, en Ontario, au Québec, en Grande-Bretagne, en Suisse et dans le Sud-Ouest de la France, et certaines sont encore en cours.

Sur la base de telles études, des auteurs canadiens ont avancé une diminution possible de l’ordre de 23% de l’incidence de la maladie d’Alzheimer en Ontario si un abaissement notable de l’aluminium dans l’eau était mis en œuvre.

Par ailleurs, plusieurs de ces études mettent en évidence un gradient de risque en fonction de la concentration d’aluminium dans l’eau, et une augmentation du risque d’autant plus forte que la population prise en compte était plus âgée.

On pouvait semble-t-il s’attendre à ce que prévention et précaution l’emportent et que suite à l’ensemble des études soit abandonné le traitement de l’eau par des sels d’aluminium, d’autant que des solutions alternatives existent et sont déjà fréquemment utilisées, notamment à Paris depuis 1978. On pouvait d’autant plus l’attendre que l’aluminium est un élément apparemment non essentiel à la vie, et que sa toxicité pour le système nerveux est admise par tous. Rappelons en effet que cette neurotoxicité centrale a été mise en évidence lors des diverses observations en milieux professionnels - la première en 1921 - et chez les personnes dialysées pour insuffisance rénale dans les années 1970 avec à la clef plusieurs cas d’encéphalopathies mortelles. Dans ce dernier cas, suite à une destruction de la fonction rénale, l’aluminium de l’eau se retrouve directement dans la circulation sanguine, sans avoir à passer la barrière intestinale qui protège l’organisme contre ce toxique. Parmi les études publiées on doit également signaler celles portant sur la toxicité de divers composés de l’aluminium dans des vaccins, des antiperspirants et déodorants.

Suite à la dernière publication par une équipe française dirigée par M Dartigue, en juillet 2000, dans une revue scientifique américaine, d’une étude qui persistait dans la mise en évidence d’un excès de risque de maladie d’Alzheimer lié à l’aluminium hydrique, la Direction générale de la santé a demandé une expertise à l’Institut de veille sanitaire et aux Agences de sécurité sanitaire des aliments et des produits de santé.

Cinq groupes de travail ont étudié les données existantes et ont remis leur rapport final en novembre 2003 ainsi qu’un rapport propre à l’InVS spécifiquement centré sur les études épidémiologiques. Dans ce dernier rapport on peut lire : " si toutes les études présentées soulèvent des problèmes méthodologiques importants, les études dont la méthodologie est la moins critiquable sont en faveur d’une augmentation du risque de démence ou de maladie d’Alzheimer, risque estimé entre 1,5 et 2,5 pour une concentration hydrique d’aluminium supérieure à 100 ou 110 µg/litre ".

Or, en conclusion aucune mesure n’est envisagée, et lors de la parution du rapport InVS-Agences, en novembre 2003, le communiqué adressé à la presse déclare :

" A partir de l’ensemble des données disponibles, rien ne permet à ce jour d’affirmer que l’exposition à l’aluminium par l’eau, les aliments ou les produits de santé aux doses habituellement consommées par la population française soit associée à aune augmentation de risque. "

L’argumentation développée sur près des 200 pages du rapport final est que la relation entre aluminium hydrique et maladie d’Alzheimer n’est pas " plausible " donc ne peut être retenue, affirmation à première vue très documentée mais qui pourtant ne résiste pas à une approche plus approfondie des problèmes que pose la toxicité de l’aluminium.

Un rôle spécifique de l’aluminium présent dans l’eau est plausible dans la toxicité à long terme, propre à la maladie d’Alzheimer.

L’argument essentiel - quasiment le seul - opposé à la thèse d’une relation causale entre aluminium hydrique et maladie d’Alzheimer, est qu’il n’est pas compréhensible pour les auteurs qu’un tel rôle puisse exister alors que l’aluminium dans l’eau ne représente qu’une faible fraction de l’apport quotidien en cet élément dans la nourriture.

Une telle position des auteurs témoigne de leur part d’une incompréhension ou d’un refus à priori de prendre en compte une donnée majeure du problème, à savoir que la toxicité de l’aluminium ne peut être fonction de la quantité totale de l’aluminium ingéré. Ce point relève de ce que les chimistes appellent la spéciation, c’est-à-dire la différenciation des espèces chimiques en jeu, pour un élément donné, en fonction de son degré d’oxydation et des groupes qui lui sont liés. Dans le cas de l’aluminium, il est présent dans l’eau et la nourriture sous forme d’un ion positif où l’élément a perdu trois électrons (symbole Al3+). Celui-ci est alors toujours associé à d’autres espèces chimiques car ayant un faible rayon et étant fortement chargé, il développe un puissant pouvoir d’attraction pour d’autres entités chimiques. Donc il se lie et s’entoure de ligands, c’est à dire de groupes chimiques chargés négativement ou de molécules très diverses, pour former des complexes qui représenteront la forme chimique de l’aluminium dans tel ou tel milieu. Et il existe des centaines de complexes possibles, chargés positivement ou négativement ou parfois neutres. Et chaque complexe a sa réactivité propre lié souvent à sa toxicité propre. Les complexes stables durablement, ou pendant une durée longue mais limitée, présents en solution dans l’eau sont donc obligatoirement différents des complexes de l’aluminium avec les molécules présentes dans la nourriture. Il n’est donc pas possible à priori de récuser une activité spécifique d’au moins une partie de l’aluminium hydrique par rapport à l’aluminium des aliments puisqu’il ne s’agit pas des mêmes entités chimiques.

La conclusion logique de cette approche scientifique du problème est qu’il s’avère indispensable d’imposer une valeur limite plus contraignante à l’aluminium dans l’eau ne serait-ce qu’à 50µg/litre, ce qui était d’ailleurs la valeur guide de l’Union européenne dans la directive de 1980. Mais - probablement sous l’influence des lobbies internationaux, celui de l’aluminium et celui des producteurs d’eau de boisson - la valeur guide ci-dessus a été remplacée en 1998 - lors d’une nouvelle directive européenne - par une " valeur paramétrique " (ce qui ne veut rien dire) de 200µg/litre. Et les dépassements de cette valeur sont notables dans certaines régions françaises. Le passage à une valeur limite à 50µg/litre obligerait à abaisser la teneur en aluminium dans plus de 50% de la production d’eau potable à partir d’eaux superficielles.

Il est regrettable que le rapport des institutions, ayant mobilisé cinq groupes d’experts pendant trois ans, n’ait abouti qu’à des conclusions totalement en désaccord avec le principe de précaution pourtant admis dans notre pays. Ce n’est sans doute pas un hasard si les experts, lors de leurs travaux n’ont entendu ni les toxicologues spécialisés sur le sujet, ni les chimistes ayant publié des études sur la spéciation des complexes de l’aluminium.

Leur méthode est telle qu’appliquée par exemple à la relation entre tabagisme et cancer, ils devraient déduire des enquêtes que les éléments de preuve sont insuffisants pour conclure, les mécanismes de la toxicité en cause étant loin d’être entièrement connus. Mais ils ne feront pas pareille erreur car le contexte social est très différent. Dans les deux cas les experts se contentent de suivre la ligne de pensée dominante, et dans le cas de l’aluminium ils se sont alignés sur la position prise, sous l’égide de l’OMS en 1997, par le " Programme international sur la sécurité chimique ", organisme dont l’indépendance vis-à-vis de l’industrie est loin d’être établie. C’est, hélas, une fâcheuse pratique française en matière de santé publique.

Mais il n’est pas trop tard pour qu’un programme de prévention soit inclu dans le " plan Alzheimer ". Au-delà de la seule question de l’aluminium d’autres voies de recherche et de réglementation devraient être envisagées, concernant en particulier deux autres neurotoxiques notoires, le mercure et le plomb, sans oublier certains pesticides.

Pour l’aluminium il serait indispensable d’une part que soient programmées des études sur le rôle de l’aluminium hydrique dans cette maladie dégénérative, d’autre part que soit édictée sur tout le territoire, à l’exemple de Paris, une mesure d’interdiction d’ajout de sels d’aluminium dans l’eau potable, ce qui serait conforme au principe de précaution, mesure accompagnée d’un abaissement de la norme à 50 microgrammes/ litre.

Henri Pezerat et André Picot
Toxico-chimistes
Directeurs de recherche honoraires au CNRS

mardi 12 février 2008


Contact : henri.pezerat@tele2.fr

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