Calais, le 8 janvier 2008
Voici une histoire de généraliste qui me semble très démonstrative de ce que nous vivons actuellement. Le docteur Yazid Nabti est installé en médecine générale à Grande Synthe (59) depuis 2005. Il aime son travail de généraliste, est satisfait des relations qu’il entretient avec ses patients, mais il a des soucis (c’est un euphémisme) avec la CPAM de Dunkerque.
Comme les médecins généralistes de cette région victime de difficultés économiques, il a de nombreux patients bénéficiaires de la CMU, patients qu’il reçoit au même titre que les autres. Lors de son installation, la déléguée de la CPAM l’a assuré qu’il pouvait adresser toutes les feuilles de soins, quelle que soit la caisse dont relevait le patient, à la CPAM de Dunkerque, et que celle-ci répartirait les feuilles dans les caisses appropriées.
Dix-huit mois plus tard, après de nombreuses demandes d’information et de réclamations, force lui est de constater qu’il doit lui-même envoyer les feuilles à chacune des différentes caisses. Il décide ensuite de les télétransmettre. Nombre de feuilles en attente ne seront pas payées, ce qui est illégal. Surtout, la CPAM refuse de reconnaître qu’elle lui a donné des informations erronées, de manière répétée : certains interlocuteurs sont ironiques, lui reprochant de prendre les règlements au pied de la lettre ! A l’inverse, pourtant, et de manière incompréhensible, d’autres refus lui seront opposés, justement pour motifs administratifs...
Le docteur Nabti est profondément affecté par ces décisions aveugles, et kafkaïennes. Il décide d’exercer des recours, auprès de la CNAM, du médiateur de la République (régional, puis national), puis de différents syndicats de médecins et enfin de l’Ordre des médecins. A chaque fois, c’est faire un dossier, donner plusieurs coups de téléphone, prendre des rendez-vous dans d’autres villes, souvent à Paris, patienter, être ou non reçu, attendre ensuite une réponse écrite, qui le plus souvent ne vient pas. Il est exaspéré, mais reste calme. Il est enfin décontenancé et en colère lorsque, adressant une patiente en consultation à un psychiatre du CMP avec une lettre d’explication, le psychiatre refuse de lui répondre par écrit au sujet de cette patiente. Il s’avère, par la suite, que cette patiente meurt d’un suicide « réussi ». Le docteur Nabti en est d’autant plus affecté.
Lorsque qu’il décide de parler de ses difficultés à l’Ordre des médecins, il rencontre un délégué local. L’entretien est poli. Quelque temps après, il reçoit une convocation pour une expertise psychiatrique ! Lui, alors qu’il n’y a aucune plainte déposée contre lui, qu’il est en bons termes avec ses patients, simplement parce qu’il a rencontré à sa propre demande un conseiller de l’Ordre, il subit une expertise psychiatrique ! Le motif de l’expertise : dire si le docteur Nabti présente un risque pour ses patients… L’avis de l’expert sera négatif, bien sûr : non, il ne présente pas de risque pour ses patients !!!
Le docteur Nabti a, depuis, consulté un avocat, et déposé un dossier à la Halde, qui n’a pas jugé possible d’établir l’existence d’une discrimination.
Il demande le soutien du SMG, ayant vu, sur le site, que le SMG soutient des personnes… que personne ne soutient : Patrick Pelloux par exemple !
Il ne cache pas qu’il se sent fragilisé par cette situation. Il pense, sur le fond de l’histoire, que c’est parce qu’il a un nom qui n’est pas Paul Dupont que les gens se comportent ainsi à son égard. Il remarque que lorsqu’il était remplaçant, il n’avait aucun problème de cet ordre : c’était le nom du titulaire, bien « de souche », lui, qui figurait sur les imprimés…
Les faits rapportés soulèvent des questions importantes, et exemplaires :
- le mépris, voire le harcèlement moral des Caisses envers les médecins généralistes,
- la non-coopération, voire le mépris de certains spécialistes, et notamment les psychiatres, envers les médecins généralistes,
- la demande d’expertise de la part du conseil de l’Ordre, vexatoire, illégitime, invraisemblable,
- et surtout la connivence entre les notables de la profession au sens très large, ceux qui en maîtrisent les rouages, la diplomatie… : syndicats, conseil de l’Ordre, CPAM.
Pour toutes ces raisons, j’ai envie de faire connaître cette situation et partager mon indignation.
Médecins, soignants qui me lisez, sachez que nul n’est à l’abri : aujourd’hui, on s’attaque à des maillons que l’on croit faibles parce que moins parties prenantes du « Système ». Et demain, à qui le tour ?
Martine Devries
Médecin généraliste