Un grave débat est engagé sur le forum de l’intersyndicale des praticiens hospitaliers (INPH) au sujet de la “délation” devenue vertu civique : les pratiques de plusieurs préfectures sont DEJA très préoccupantes. Il est clairement question de former des réseaux “d’indic” et d’élever la DELATION au niveau d’une nouvelle vertu civique…
Par ces temps troublés ou l’instigateur de la mesure peut en même temps invoquer Jean Jaurès et Guy Môquet, chacun peut déjà réfléchir à son propre positionnement, car ce sont tous les travailleurs du social et médico social qui seront “sollicités” dans cette nouvelle entreprise de purification de notre société…Chez moi j’ai rencontré des “cadres infirmiers” tout émoustillés et consentants par avance pour cette chasse d’un nouveau genre, la “demande des papiers” fait déjà partie de la procédure d’admission et le “signalement” à “l’autorité” en découle tout naturellement, comme une nouvelle “bonne pratique”…Nul doute que ceux qui ne s’y plieront pas seront demain aussi “évalués” sur ce manque de collaboration… Et nous médecins n’aurions nous rien à dire face à une “gouvernance” qui va bientôt relayer ces “injonctions” en les transformant en “procédures” ?
Le 28 octobre 2006, dans la “France d’avant” encore, j’écrivais déjà ceci :
“Le “CHU d’après” ? L’entrée “en collaboration” est toujours “simple“, généralement le respect d’une “procédure” ou l’obéissance à une autorité. La fonction publique est particulièrement vulnérable à cette dérive puisque l’autorité , c’est l’Etat lui-même dont chaque “serviteur” se doit d’être solidaire. C’est “simple” la délation, indolore, sans trace ni remord…bientôt un acte de tous les jours dans la “France d’après“. Des milliers de petits délateurs potentiels demain auront des “contrats d’objectif” englobant cette fonction. Les Praticiens Hospitaliers eux mêmes viennent de se voir imposer un nouveau statut comportant une “part variable de leur rémunération” indexée sur la réalisation d’objectifs qui seront déterminés par la direction de l’établissement. Après tout, diront nombreux les nouveaux valets du pire “Si je fais bien mon boulot de toubib, que peut-on me reprocher ?” . Il est des employés de préfecture qui ne disaient pas autre chose entre 1940 et 44…”bien faire son boulot“…
Je suis trop loin de Nantes pour aller vomir dans le bureau du directeur de cet établissement, mais tout mon dégoût accompagne ceux qui pourront s’y rendre.“Ce n’est sûrement pas un médecin qui a téléphoné (à la police de l’air et des frontières PAF), une secrétaire probablement” m’a t-on objecté quand je me suis enquis.
Mais peu importe au fond qui a fait le geste. Celui ou celle qui l’a fait savait ne pas transgresser un interdit de sa hiérarchie, médicale ou administrative. Il n’imaginait sans doute pas que la presse soit informée de sa conduite…
Décrocher simplement un téléphone…Pour appeler le petit numéro honteux griffonné ce soir là sur un papier laissé par la police…C’est comme cela que se fait l’entrée en collaboration…Doucement, discrètement et sans trace..
Demain, bientôt, le même numéro sera affiché au mur de la salle d’accueil ; après demain il sera incorporé dans les “abrégés” des “lignes directes” dont tout le monde feindra d’ignorer au début, puis oubliera véritablement plus tard, quel est le véritable destinataire…
_Une “procédure” sera établie ; la “note de service” signée du directeur et du médecin président du conseil stratégique de la nouvelle gouvernance, précisera que l’accueil de telle ou telle catégorie de patients doit être accompagné de son signalement au numéro indiqué…C’est très simple de rentrer dans le pire ! Le XXème siècle nous l’avait enseigné déjà ; mais il est bien connu que chaque génération doit refaire son expérience et ne croit pas aux leçons du passé…
Qui va nous dire demain ce que cette mère, Nicole M, qui fuyait dit-on un réseau de prostitution, et son enfant de six ans, seront devenus après leur expulsion vers les Pays Bas ?
Avons nous changé, nous tous, sans même nous en rendre compte ?
Jacques Richaud