Exceptionnellement, la rubrique Actu, habituellement tenue par la rédaction de Pratiques, est dévolue à l’initiative impulsée par le Dr Baillon et ses compagnons, l’appel à un ambitieux Plan Santé mentale 2008, qui, de l’aveu même de ses promoteurs, ne se conçoit que dans le cadre d’un Plan global de lutte contre la pauvreté et la précarité.
Nous reproduirons ci-dessous, d’abord, en guise de "bonnes feuilles", une introduction reprenant pour l’essentiel des éléments d’un livre du Dr Baillon, à paraître incessamment.
Suivra le texte du même auteur, consacré aux déclarations présidentielles du 2 décembre, cri d’horreur et d’indignation, mais aussi analyse en profondeur des dérives sécuritaires qui remettent aujourd’hui en cause les acquis d’une évolution commencée depuis Pinel et qui visent à de nouveau enfermer, retrancher, la maladie mentale dans un univers purement carcéral. Ce texte, très important, constitue à son tour une sorte de préface au Plan Santé mentale 2008, Plan qui figure, pour sa part, en pièce jointe du même texte et indique les coordonnées du site où nos lecteurs pourront continuer d’échanger sur ce thème et signer l’appel correspondant. Naturellement, pour ce qui est de l’appel à l’unité syndicale des psychiatres qui figure en P.S. à ce texte, il n’appartient pas à Pratiques de prendre parti, dans un sens ou un autre. Nous laissons ce soin aux intéressés.
Nous donnons à présent, la parole au Dr Baillon.
Si je me laissais aller, je dirais(je l’ai d’ailleurs un peu écrit dans un livre sous presse) : "La folie n’est jamais une histoire individuelle,c’est toujours une aventure collective. La folie dite d’une personne concerne et implique toujours le groupe qui l’entoure. Il nous appartient à chaque fois de le découvrir pour, à la fois, soulager les souffrances et nous enrichir collectivement de nos découvertes"
De ce fait, la psychiatrie doit toujours être une réponse collective,rencontrant la personne ’et’ son groupe,à la recherche de l’homme,dans le respect de l’homme,
donc une réponse qui cherche à ’contenir la parole’, pour qu’elle ne se disperse pas en mille morceaux,mais qui n’enferme pas la personne.
La psychiatrie ne peut pas plus être enfermée dans la médecine ni dans un Hôpital, elle implique autant les acteurs sociaux que les soins (car elle s’accompagne de souffrance).
Ecouter la folie ce n’est pas pour autant accepter qu’elle domine le monde. C’est simplement lui reconnaître sa place ’juste’ dans toute création, dans tout amour.
Certes, dans tout moment de folie, il y a tentative de prendre le pouvoir sur les autres et sur le monde. Mais dans son rêve de toute puissance, la personne perd tous les moyens qui lui permettraient d’y arriver. En réalité, elle est totalement vulnérable et ne sait pas se défendre, ni
dominer.
Le danger pour la société n’est donc pas dans la folie, il est dans la lucidité de l’action préméditée de ces hommes qui, en pleine raison, veulent profiter du monde, l’écraser dans un acte que domine le mal, choisi en toute connaissance de cause.
Il est hallucinant, au moment où la terre est épouvantée de tant d’actes
de barbarie commis en pleine connaissance de cause - les guerres
immotivées : l’Irak et toutes les autres, la préméditation financière qui fait évaporer la moitié des richesses accumulées, et dont les conséquences vont accabler les plus pauvres pendant des décennies, en passant par le désastre écologique détruisant la planète de nos petits-enfants - que l’on ose monter en épingle deux crimes en quatre ans et qu’on désigne les personnes assimilées à leurs auteurs à la vindicte populaaire, comme si elles représentaient ’le’ danger historique pour 65 millions de citoyens !
Dites moi donc : "Où, à votre avis, se situe la dangerosité ?" (ce pourrait être un premier titre pour le texte qui va suivre) et quel serait notre objectif commun : en dehors du respect de l’homme, partagé par tous, par le milliardaire, comme par l’homme le plus démuni, quel est celui des deux qui détient entre ses mains le pouvoir sur les autres ? Et qui peut réaliser tous ses désirs en écrasant les autres ? ...
Alors, un autre titre :
Ne pouvons nous une bonne fois décider "Qu’est-ce qui est dangereux pour l’homme : sa méchanceté ou sa folie ?" , et, à partir de là, comprendre que raison et folie sont nécessairement associées pour créer un monde meilleur, un monde où la créativité de chacun puisse s’exprimer dans sa construction
des liens avec ceux qui l’entourent...
Notre texte du 2 décembre était bien modeste, mais il s’est exprimé aussitôt tellement le spectacle que j’évoque existait déjà pour la santé mentale, dans l’indifférence et avec notre lâcheté à tous, depuis longtemps déjà sur le seul plan de la psychiatrie, laquelle pourtant a fait en 30 ans un bond extraordinaire.
Sur le plan social, le désastre humain inexplicable est à l’œuvre depuis plus longtemps, et d’une autre ampleur.
C’est une nouvelle réflexion sur notre société qui doit surgir de la
réflexion ’politique’, alors que les politiques actuels semblent lui avoir
tourné le dos, la gauche plus que le reste semble t il.
Je suis donc honoré de la publication de mon texte par Pratiques, mais il n’a de sens que s’il suscite des réflexions et des actions.
D’abord il faudra manifester dans la rue notre désaccord avec le discours du 2 décembre, ensuite, se rassembler pour préparer, pour la santé mentale, un nouveau plan. Je vous en envoie, ci-joint, une première ébauche, concise, en termes de MANIFESTE et appel à signature sur le site en fin de texte.
Continuez à rassembler.
Docteur Guy Baillon
Psychiatre des Hôpitaux
Sinistre 2 décembre 2008
Le Président a voulu parler de la psychiatrie à la Nation. Il a tenu à le faire d’un hôpital psychiatrique, ce qu’aucun Président n’avait encore osé faire, alors que selon ses propos son entourage lui avait dit « Ne touche pas à ce domaine. Tout le monde s’y casse la figure ». (Il aurait dû écouter, hélas … !)
Mais le Président ne recule devant aucun défi.
En effet, témoins des propos tenus et des gestes qui l’accompagnaient, nous savons qu’il faudra un autre Président de la République pour que pareil affront à l’humain soit effacé.
Comment n’avons-nous pas pu crier notre honte et notre colère sur le champ ?
La folie est redevenue, à la demande d’un Président, l’objet de la vindicte populaire.
La folie est condamnable il faut l’enfermer et l’effacer !
Le danger est à nos portes. Il faut soigner, certes, mais il faut surtout ‘protéger’ la société, avons-nous entendu.
D’abord, les hôpitaux vont être ‘sécurisés’ (on pense barbelés, caméras, miradors, doubles portes blindées, les fouilles au corps, les chiens,…)
Mais d’abord il va y avoir « obligation de soins ».
Cette affirmation n’avait jamais été prononcée par un Président, ni par un ministre. C’est une décision d’une gravité exceptionnelle. Elle vient s’ajouter à l’atteinte à la liberté que représente toute hospitalisation d’office. Elle vient enfreindre toutes les règles médicales. Elle empiète sur la liberté des familles. C’est en fait l’ouverture à l’arbitraire, car elle ne s’appuie sur aucune donnée vérifiable, et ses limites seront incontrôlables. Elle va même pouvoir se continuer « à domicile ». Un pas de plus dans l’atteinte à la liberté.
Ces deux décisions constituent l’écrasement de tout espace thérapeutique : toute la psychiatrie est dans cet espace : nous connaissons la difficulté pour une personne qui n’a pas conscience de la nature de ses troubles pour qu’elle arrive peu à peu se sentir soutenue, en confiance, et qu’elle perçoive l’appui qu’elle peut tirer des soins. Tout soin obligatoire, au contraire, la pousse à comprendre que la société qui l’entoure lui est hostile. Alors, consciemment et inconsciemment, elle va s’organiser pour lutter contre elle.,Cette obligation vient annuler la psychiatrie dans sa qualité de soins.
On a cru l’entendre dire aux familles : ‘Dormez tranquilles : un officier de police va venir apporter les médicaments à domicile, les pompiers l’assisteront au cas où votre malade refuserait d’avaler son médicament (certes on a quelques doutes sur l’ambiance pour faire les injections ‘obligatoires’). C’est avoir une piètre idée du désir de soin qu’ont les familles.
Le schizophrène (car le terme a été employé, comme si la science avait reconnu le terme comme une vérité scientifique incontournable), qui sera sorti sans permission, fera l’objet d’une poursuite ; pour prévenir pareille ‘folie’, il recevra un bracelet de « géo-localisation ». Ce bracelet pourra, de façon préventive, être posé d’emblée en même temps que le diagnostic, tout comme les personnes ayant une maladie d’Alzheimer : la comparaison a été affirmée et elle est forte. Elle montre la méconnaissance ‘totale’ qu’a le Président sur ce que sont les troubles psychiques. Comment ses conseillers le laissent-ils ainsi se couvrir de ridicule ? Une autre barrière est ainsi franchie : celle de la « géo-localisation » de la folie. Il n’y a plus moyen d’échapper. Georges Orwell doit être stupéfait de voir son ‘1984’ se réaliser.
Les placements d’office feront l’objet d’une liste nationale connue (sous secret médical, bien sûr) de tous les hôpitaux psychiatriques. C’est bien pire que le casier judiciaire, car les ‘erreurs’ ne seront jamais effacées. On ne sait pas encore avec précision quelles seront les conditions permettant de placer une personne d’office : c’est capital, car une fois mise dans cette liste, elle n’en sortira plus !
D’abord, l’hospitalisation d’office donnera droit à un ‘régime spécial’ qui va être extrêmement difficile à délimiter. Il faudra être sûr que les patients soient dans des espaces d’hospitalisation d’où l’on ne peut s’échapper. ‘Ce n’est pas comme en prison’, la différence a été affirmée cinq fois. C’est exact que d’une prison, on peut encore s’échapper. « D’un hôpital psychiatrique on ne pourra plus fuguer ».
La Ministre veillera aussi à la construction de 200 cellules. Une somme d’argent considérable a déjà été donnée à cet effet à la Ministre de la Santé. Y seront associés quatre nouveaux centres pour malades difficiles de 40 places chacun. L’enfermement est ainsi affirmé comme l’arme définitive contre la folie.
Si quelqu’un a l’idée (folle) de penser que le malade a été traité suffisamment pour pouvoir sortir (on se demande en effet comment pareille éventualité pourra être envisagée) il faudra obtenir d’abord l’accord du ‘Préfet’ en personne. Car le Président a insisté : le Préfet ne déléguera plus à un sous-fifre cette surveillance. Cet homme ‘responsable’, le premier représentant de l’Etat dans le département, saura comment surveiller toute tentative de sortie. Le Président en a appelé constamment à la ‘responsabilité’ de chacun. Cela veut dire clairement que les sanctions devant toute ‘erreur vont ‘pleuvoir dru, du Préfet au portier. L’allusion aux victimes éventuelles d’un fou était discrète mais portée au plus haut niveau.
Le Préfet va s’appuyer sur l’avis d’un comité de trois personnes. On entrevoit les procédures, les attentes interminables, les doutes, les demandes de vérification pour être certains ! On ne va pas le demander aux experts en qui on fait toute confiance, ils ont déjà tant de tâches difficiles. On sollicitera le chef de service concerné, un cadre infirmier, un autre psychiatre, libéral par exemple, car il faut que les libéraux s’associent au public. Ce choix est malicieux : si on l’examine, il ne pourra pas décider d’une sortie.
Comment un tel comité pourrait-il affirmer que ce malade n’est pas dangereux ?
La notion de danger étant un pur fantasme (il n’y a jamais eu la moindre donnée scientifique pour dire ce qu’est le danger en la matière), la conséquence est grave : personne n’est capable d’affirmer que dans les moments qui viennent une personne que nous avons devant les yeux ‘ne peut être dangereuse’, personne ; et si un accident survenait tous les trois seront coupables. Le chef de service sachant que des peines de prison l’attendent ne pourra le faire, le cadre infirmer pourra le faire encore moins car il voudra défendre tous ses collaborateurs infirmiers, quant au psychiatre libéral, pour sa sauvegarde personnelle, pour sa vie de famille, il ne peut prendre le risque d’aller en prison.
Ainsi quatre professions seront à partir de demain ‘extrêmement’ attentives à ne pas laisser sortir un malade qui aura manifesté le moindre signe de violence.
Va s’y adjoindre une cinquième qui, après la condamnation récente à Grenoble de l’un d’entre ses membres, sera encore plus vigilante pour que toutes ces mesures soient respectées : ce sont les Directeurs d’Hôpitaux, d’autant que le Président leur a rendu un vibrant hommage.
Le directeur va veiller à la reconstruction de murs infranchissables, des sauts de loups (détruits depuis 40 ans), au contrôle à la porte de l’hôpital, aux fermetures des cellules et des services, aux miradors aux quatre coins de l’hôpital (les caméras ne sont pas encore arrivées, on ne voit pas comment on va pouvoir s’en passer dorénavant), à la bonne observance des traitements obligatoires (car il faut aussi une surveillance administrative), au contrôle de tous les documents de placement d’office et surtout, surtout, aux mesures de permissions avec leurs traitements obligatoires associés, à son parc automobile enfin, pour aller rechercher avec la police les malades fugueurs, à tout moment et en nombre suffisant.
Si quelqu’un a besoin de soins psychiatriques « ne pas le soigner c’est être coupable de non assistance à personne en danger », c’est d’autant plus simple à affirmer qu’on ne saurait comment demander son consentement à une personne qui a perdu les sens ? (ceci était accompagné d’un geste significatif : le doigt présidentiel a pointé l’honorable crâne ! La démonstration scientifique est ‘irrésistible’.)
Pour conclure, le Président a mis un terme à toute hésitation à obéir à ses ordres : la menace était claire, bien présente, elle a été affirmée avec une émotion sacrée, celle du Président, écartant d’un mot et d’un revers de main toute contestation, qui ne pourrait être « qu’idéologique ». Sur un champ aussi grave, l’idéologie est donc interdite. Chacun a compris là que tout effort de compréhension clinique des troubles et toutes les approches humaines étaient ainsi écartées après avoir été sévèrement condamnées, car ‘idéologiques’ Le mot de conclusion a été prononcé avec le sourire, comme s’il savait qu’il y avait un mot qui allait tout faire accepter. Il a été dit que toutes ces affirmations allaient dans le sens de « l’humain » ‘bien entendu’ ! (clin d’œil appuyé) nous devons savoir qu’il sait ce qu’il faut nous dire !
Notre honte ! Mais pourquoi n’avons-nous pas crié notre terreur de voir s’imposer un tel régime de crainte, de perte de liberté. Jusqu’alors aucune loi française n’a franchi ces barrières intimes que sont le domicile, l’obligation de soins, la ‘géo-localisation ! Cette barrière a été franchie en s’appuyant sur cette notion insaisissable de danger.
Nous sommes effarés de constater l’état d’ignorance qui existe en haut lieu ? C’est aussi la première fois qu’un Président de la République stigmatise une maladie précise. C’est une blessure humaine grave. Comment ces personnes portant cette prétendue maladie vont s’en relever alors que nous savons très bien la variété de troubles correspondant à ce diagnostic ? Nombre d’entre elles peuvent ne jamais être soignés parce qu’elles n’en ont pas besoin.
Comment les usagers de la Santé Mentale vont-ils oser dire que leurs troubles se rapportent à cette prétendue maladie ? Comment les usagers vont-ils pouvoir se défendre après telle affirmation venant de si haut, en public ? Jamais la stigmatisation n’avait atteint ce niveau. Ces usagers vont se sentir associés aux personnes ‘dangereuses’. Affirmation sans fondement qui devient sans limites.
Et pourtant :
Toutes les statistiques montrent que les malades mentaux ne sont pas plus souvent auteurs de crimes que la moyenne de la population.
Toutes les statistiques montrent qu’ils commettent moins de délits.
Toutes les statistiques montrent qu’au contraire les malades mentaux, au lieu d’être agresseurs sont 20 fois plus souvent victimes de violences que le reste de la population.
Pourquoi l’entourage du Président lui a-t-il permis de se couvrir ainsi de ridicule. Quand le Président des Français se ridiculise, je me sens comme citoyen malmené et blessé car il nous représente tous.
C’est vrai que la folie fait peur depuis que l’homme existe. C’est vrai que tout doit être fait pour montrer à la population que la folie fait partie de l’homme, et que plus l’homme est entouré par la solidarité humaine plus sa folie est intégrée à sa personne, et au lieu de le diminuer, l’enrichit.
Une commission a été nommée au début de l’été pour faire des propositions afin de sauver la psychiatrie française de l’abandon dont elle était l’objet, la commission Couty . Son travail est ‘balayé’ par cette invitation à la violence sécuritaire renforçant encore l’hôpital transformé en prison, et stigmatisant la folie avec tant de mépris.
Ce 2 décembre 2008 les professionnels de la psychiatrie, les usagers de la santé mentale ne peuvent rester muets. La seconde étape sera la loi. Il y a maintenant urgence. Nous savions qu’elle était dans les tiroirs depuis deux ans. Il fallait un événement. Ce fut le drame de Grenoble. La situation d’une personne suffit pour promulguer une loi qui va troubler 65 millions de personnes en ciblant un million et demi d’entre elles comme susceptibles de violences.
Dans les plus brefs délais c’est dans la rue qu’il faut défendre notre société, ses malades. Il y va de l’homme et des français. De Tous.
P.S. Suite du sinistre du 2 Décembre 2008 (intervention du Président de la République)
Fasciné par la violence, exprimée en termes si doux au début du discours après une longue félicitation accordée aux ‘si bons soignants de la psychiatrie’, je n’ai pas perçu immédiatement que le « non-dit » de cette intervention ‘nationale’ redoublait en réalité la gravité du propos sur le nouvel enfermement de la folie.
L’admiration d’un spectateur, béat devant le Président, me l’a révélé ce matin quand j’ai su qu’il soulignait à son tour tout le bien que le Président avait dit des professionnels !
La gravité du non-dit renouvelle ce qui s’est passé et ce que n’ont pas vu tous les collègues lors de la parution de la loi de 1990 qui se disait avoir pour but d’humaniser l’hôpital : nous savons qu’elle a provoqué la multiplication incessante des hospitalisations sous contrainte.
Ce non-dit est terrible : Le propos du Président, hier, n’a pas évoqué une seule fois « la politique de secteur », pas une seule fois. La nouvelle loi confirmera cette omission volontaire. Il faut en peser les conséquences. 40 ans d’efforts citoyens annulés !
Chers amis, hier la Psychiatrie de Secteur a été, jusqu’à nouvel ordre, balayée, et dans le plus grand silence, sans un regret. Pas une fois ses efforts pendant 40 ans n’ont été évoqués lors de cette intervention déclinant si bien et si longuement les qualités des professionnels. Pas une fois ! Seul l’hôpital compte.
Nous pouvons prévoir les conséquences qui vont accompagner la ‘nouvelle politique de santé mentale’, celle du renfermement moderne : Les Directeurs ‘responsables’ comme a répété le Président sauront comprendre la menace qui pèse sur eux ; ils seront vigoureusement soutenus par les Préfets, plus responsables encore. Ils vont rapatrier au plus vite les infirmiers et les médecins qui travaillent dans le secteur pour venir consolider l’hôpital, et ce sera plus sévère pour les équipes des hôpitaux généraux : les ‘bons’ CMP comme les mauvais seront fermés, les autres structures quand ‘ de besoin’.
Dire que certains dans son discours ont cru à ses félicitations ! Le travail de secteur n’intéresse en aucune façon le Président. Il l’ignore. Toute tentative d’explication pour s’y prendre autrement sera entendue comme discours idéologique. Il a déjà été disqualifié.
Nos amis qui avaient participé aux travaux préparant la loi de 1990, déjà, s’étaient fait berner. Et nous n’en étions qu’à l’époque de l’hospitalisation douce. Aujourd’hui nous passons à l’hospitalisation ‘dure’ et sans état d’âme.
Nos anciens nous avaient avertis « Ne touchez jamais à la loi de 1838, sinon pour l’abroger. Ne cherchez jamais à l’améliorer. Le résultat sera bien pire qu’elle. » Déjà, 1990 a sonné l’arrêt de la psychiatrie de secteur et le retour des soignants vers l’hôpital, pour le renforcer. Cette fois ci, puisque la politique de secteur n’a pas été mentionnée « elle n’existe plus ».
Personne ne peut accepter cela. Personne.
Suivi du sinistre du Président de la République. Le 4 décembre 2008.
Réveillez vous donc ! Regardez. Dans ce pays l’exclusion ne traîne pas. On obéit.
Je crains que ceux qui n’étaient pas présents à l’hôpital Erasme n’aient pas saisi la violence cachée des propos, exprimée clairement dans les gestes et les serrements de lèvres. Le personnel soignant a été flatté longuement, d’entrée, lors de l’intervention du Président, pour être mieux ciblé comme responsable dans l’avenir et pour exécuter sans hésiter. Cela a été martelé : chacun à partir de maintenant sera devant la Nation « responsable » !
Cela n’a pas traîné : je vous informe, grâce à un grand ami, que ce matin, moins de 48h après l’ordre, le Préfet des Hautes Alpes vient à Laragne. Ce petit hôpital qui devait fermer. Sans être dans le secret de Dieu, je parie que ce sera l’une des quatre Unité de Malades Difficiles.
Certes je suis honteux d’être à la retraite et d’avoir à dire ce que je vais écrire : les grands responsables de cette décision présidentielle, ce sont nous les psychiatres. Nous qui avons choisi de nous diviser en 1984 (pourtant Orwell n’était pas là), mais c’est l’année où notre syndicat unique s’est éclaté en 5 pour mieux défendre nos corporatismes et abandonner l’élaboration de la ‘Politique de Secteur’, installant la guerre entre nous au grand plaisir de l’Etat. Devant chaque décision, depuis, au lieu de réagir sur l’heure comme un seul homme, les 4 ou 5 syndicats sont soit dispersés, soit palabrent et proposent ‘le plus petit commun dénominateur’ en rangs plus ou moins ‘lâches’, défendant leurs intérêts. Couty les a entendus.
Si, cette année-là, nous avions décidé d’appliquer la politique de secteur, nous aurions tous, dans les 5 ans, aidé nos directeurs à installer pour chaque secteur 20 à 25 lits en ville, nous aurions déployé la manne du personnel de nos équipes. Les 90 asiles auraient été transformés en 90 centres culturels rayonnants dès 1990. Aujourd’hui, aucun Président ne pourrait retrouver 90 espaces de bannissement avec murs, miradors, caméras non cachées. Les familles se sentiraient aidées par les soignants. Les Directeurs auraient disparu, remplacés par un responsable départemental à l’écoute des équipes du terrain. La politique de secteur aurait été enfin appliquée. La presse, pas plus qu’elle ne le fait Angleterre ou en Italie, ne parlerait de façon privilégiée de crime de fous. Laisser entiers et en bon état les 90 asiles, mais c’était une tentation irrésistible pour un Président ‘responsable’ comme nous les aimons.
Ne sourions pas. Cette décision est un signe prémonitoire. La méthode a déjà été utilisée dans un pays voisin. ‘Douce’, notre société en ce moment parle dangereusement d’euthanasie ! Ce pays l’a déjà utilisée pendant 10 ans, largement, sans qu’aucun responsable ne signe aucun papier, sans que personne ne le rende public. Les premiers exécutants étaient ‘les psychiatres, professeurs en tête’. 70.000 ont ‘disparu’. Relisez l’histoire. Ne prenez surtout pas à la légère les traitements obligatoires. Trop d’entre vous ces jours-ci ont applaudi. Où est leur limite ???
Aujourd’hui les psychiatres sont la seule catégorie professionnelle dont le Président ne peut pas encore faire plier le genou. Prenons en acte, vite, cela ne durera pas.
Si nous sommes conscients de nos forces et du danger la première grande décision qui devrait être prise, décidée aujourd’hui, réalisée en quelques semaines, serait de dissoudre les 4 syndicats et d’en créer un nouveau, un seul (même la petite Croix Marine pudique et silencieuse, devrait s’y dissoudre).
Car, les amis, le premier combat à mener c’est la future loi d’enfermement. En quelques semaines elle sera prête. Si la rue est forte les députés hésiteront. Mais déjà un mouvement de familles lui emboîte le pas. La lutte ensuite va être longue. Les oukases successives vont être exécutées sans coup férir par le personnel désarmé (il n’y a plus d’infirmiers psychiatriques pour se révolter), pointé comme responsable. Les Préfets, par définition, ont choisi de servir la Nation. Qui aujourd’hui peut rassembler sans avoir la trouille ? Déjà !
« UN SEUL SYNDICAT DE PSYCHIATRES AUJOURD’HUI EN FRANCE. »
Quelle leçon ! Quels espoirs pour nos amis soignants et nos amis patients-usagers !
Certes quelques uns ne voudront pas, ils sont déjà soumis. Nous ne pouvons leur en vouloir. Ils comprendront lorsqu’ils verront la force de ce syndicat « RESISTANT ». Qui s’associe ?
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