Croire c’est soigner ou soigner c’est croire.

Elisabeth Brouillat
Infirmière de nuit

C’est mon job, j’écoute et j’essaie d’entendre les maux de ceux qui sont en souffrance. Je ne juge pas, je ne cherche pas à résoudre, je laisse le fil de la parole se dérouler. Il y a la parole qui soigne tout simplement par ce qu’elle est.

Les heures passent, les gens défilent, le livre d’histoire est ouvert. Des ronds, des ovales, des carrés de toutes les couleurs passent de mon plumier à différentes mains, fines, grasses, propres, sales, entretenues ou oubliées ; toutes ces mains qui se tendent pour leur pitance chimique tri quotidienne ; la poésie des laboratoires qui prénomment leur molécule de doux nom. Ce rose pétant pour faire dormir, ce blanc neutre pour calmer, la poésie des chercheurs est scientifique, les pilules du bonheur n’écoutent rien, elles s’avalent. Elles sont cependant une transition, avant d’agir, elles nous donnent l’occasion de mettre un mot sur chacune de ces mains, nous, assis, ouvrant la boîte magique, vérifiant sur l’ordinateur que les médicaments sont ceux prescrits.

Puis, le regard remontant le long du bras, de l’épaule, un visage, parfois un sourire et cette main ouverte qui passe en bouche le produit miracle, un verre d’eau... et hop la chimie se dirige pour endormir le mal.
« Vous avez passé une bonne journée ? »... individualiser les soins, reconnaître pour faire naître, faire exister celui que le produit a endormi. Est-il dans les soins ?...

Que de gymnastique pour passer d’une histoire à l’autre, d’un visage à l’autre comme la caissière du supermarché, comment entendre, laisser parler ; alors que derrière, il y a la queue, derrière la zone de confidentialité c’est le brouhaha.
Après ces heures de distributions quotidiennes, le silence est là, la lumière s’éteint, les portes qui nous relient à l’extérieur se ferment.

Il est temps de veiller au dedans, tout à sa place, chacun dans son lit... un peu de rangement et la nuit s’étire... Alors j’écoute la nuit, tout est plus calme, les voix sont feutrées, il n’y a pas de bruit et s’il y en a c’est qu’il y a problème.
On passe de la lumière artificielle du dossier informatique au sombre des chambres éteintes refoulant des odeurs des bruits intérieurs. Tous nos sens sont en éveil mais tout est au ralenti.
Si tout va bien, on ne devrait entendre que les pas des fumeurs, les chasses d’eau, les ronflements... tous ces petits signes parce que la vie est là.
Une proximité de bruits et d’odeurs qui rendent à la confidence une plus grande place, la confidence des corps, la confidence des mots.

Une porte claque, des pas rapides avancent dans le couloir, un homme entre dans l’infirmerie, il n’a pas dormi, ça se voit. Nous lui souhaitons le « bonjour ».
Il n’a pas le temps de répondre, il est avec son téléphone portable :
« Je n’arrive pas à capter radio scoop ».
(Pourquoi est-ce si important ?)
« Il y a l’horoscope de 5 h 18 et je vais le louper ».
Ma collègue propose l’horoscope de « 20 minutes ».
« NON il n’y a que Rachel qui sait, tous les autres c’est de la foutaise »...
« On vous le cherche ».
« Je vais fumer, je reviens »... on cherche sur l’ordinateur cette foutue radio mais n’y parvenons pas, notre serveur bloque l’accès. Alors sur notre téléphone on trouve.
Ça y est il remonte.
« Merde il est 5 h 20, l’horoscope est terminé... Je reviens à 6 h 18, il le repasse »...
« Ok on vous attend ».
Occupé à diverses tâches, je ne vois pas qu’il est 6 h 18, il est là, il attend.
Rachel est dans le téléphone, elle murmure l’horoscope du matin pour ceux qui se réveillent, et ceux qui n’ont pas dormi... Scorpion...
« Moi je suis poisson, c’est le dernier ».
Il écoute attentivement POISSON « aujourd’hui vous risquez d’être imprévisible »...
Il me regarde, c’est sûr, elle l’a dit...
« Vite donnez-moi mon traitement ! »
« Vous ne voulez pas attendre 7 h 30 ? »
« Vous avez entendu... je risque d’être IMPRÉVISIBLE »… alors je lui donne.

Merci Rachel, tu nous évites des heurts. Merci la science d’avoir inventé cette chimie qui endort, merci les médecins de l’avoir prescrit.
On a vraiment évité un drame... L’essentiel est d’avoir confiance en Rachel, en la chimie, en la médecine.


dimanche 15 novembre 2020, par Elisabeth Brouillat

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