Samedi 20 septembre, en tant que (jeune) Maître de Stage Universitaire (MSU), je participe pour la 2ème année au séminaire du Département Universitaire de Médecine Générale (DUMG). Comme pour une rentrée des classes, nous sommes conviés à nous retrouver pour la mise en œuvre des réformes du 3ème cycle de l’internat de médecine générale. Après la pause-déjeuner, mon camarade et moi-même suivons un autre groupe dont nous écoutons par hasard la discussion. Leur ton est jovial, le vin à table les a certainement décontractés, ils ont l’air de bien se connaitre. Il est question de cotation des actes techniques, de renouvellement d’actes. Le malade est clairement désigné comme une source de profit à exploiter. Mon camarade m’explique alors en aparté qu’il exècre cet aspect-là de la profession et qu’il serait plus sain d’être salarié… Je lui réponds affectueusement qu’il est un médecin avec une conscience politique qui l’honore.
Mon engagement dans le Syndicat de la Médecine Générale (SMG) a été le fruit d’une maturation progressive. Je l’ai dû à la rencontre de soignants qui m’ont ouvert les yeux sur la pratique des soins et le sens collectif et social que cela pouvait avoir. Déjà étudiant j’ai pu avoir l’expérience des autres professions de santé en travaillant l’été en clinique en faisant fonction d’aide-soignant en binôme avec une infirmière. Cela m’a certainement permis de comprendre que la santé n’était pas le privilège des médecins.
En tant qu’interne j’ai eu la chance de travailler dans un hôpital général de statut privé associatif, sans but lucratif, qui participait à l’exécution du service public hospitalier. Cela m’a rassuré dans l’idée que privé et lucratif n’étaient pas forcement indissociables. De plus l’Hôpital Joseph Ducuing avait une histoire singulière dont les soignants qui y travaillaient étaient très fiers. Il avait été créé par les résistants républicains espagnols en 1944 et son rôle social et politique nous a été transmis par les anciens. J’ai ensuite toujours essayé de travailler avec à l’esprit la nécessité d’une pratique ou le collectif était présent.
En intégrant un centre de santé pluri-professionnel lors de mon installation mais aussi en organisant mon temps de travail pour permettre une activité hors cabinet, j’ai eu le sentiment de mettre en adéquation le travail libéral et mes missions de santé publique. J’ai décidé ainsi de participer à la permanence de soins en effectuant des astreintes à la maison médicale de garde mais aussi en participant une demi-journée par semaine à un réseau de santé pour la prise en charge des patients en situation palliative ou souffrant de douleurs chroniques. Je pense que ma participation à un groupe de pairs et mon engagement au DUMG relevaient également d’une vision politique de la médecine pour sortir du colloque singulier et replacer l’acte de soigner dans le champ du social.
J’accueille maintenant des étudiants en 4ème et 5ème années de médecine pour leur faire découvrir (pour certains pour la 1ère et unique fois) le travail du médecin généraliste. J’essaie de leurs montrer que le médecin généraliste par sa proximité, sa disponibilité, son engagement dans une prise en charge globale de la santé, tant physique, que psychique et sociale [1] J’essaie de montrer qu’outre des compétences techniques et humaines, il faut également avoir une compréhension sociétale, environnementale et par conséquent politique notamment en ce qui concerne le droit et la santé des femmes, de la santé mentale, du droit à la santé des migrants, de la santé au travail. Je leur explique comment notre système de soins peut agir sur les inégalités sociales de santé ou sur l’accès aux soins.
Probablement que cette analyse occulte le côté narcissique de ces « missions ». J’essaie quand même de garder un regard critique sur ces grands mots et ces grandes idées. Je soigne probablement d’abord parce que c’est mon métier et qu’il faut manger, mais aussi parce que, issu d’une famille bourgeoise, ma formation initiale et ma « sélection » ont été probablement facilitées. Le système de soin est certainement plus accessible et intelligible pour les catégories socio-économiques les plus aisées. Par les rapports de forces qu’il induit, l’acte de soigner constitue un acte politique [2]