Attestation déplacée

Éric Bogaert
Psychiatre

Une fois n’est pas coutume, avec ce deuxième - restons raisonnables, il y en aura d’autres - confinement, comme c’était déjà le cas avec le premier, l’État nous impose des restrictions, et en l’occurrence de nos déplacements. Pour limiter la propagation du virus il faut restreindre les déplacements de ses véhicules, à quoi, pauvres citoyens, nous sommes réduits. Ça, je le comprends. Mais pourquoi faut-il remplir une attestation de déplacement ? Pas pour quels déplacements, mais bel et bien pourquoi faut-il l’écrire ?

Qu’en dit le mode d’emploi officiel, la section « Épidémie Coronavirus (Covid-19), tout ce qu’il faut savoir » du « site officiel de l’administration française » service-public.fr ?

« En raison de l’évolution de l’épidémie, un nouveau confinement a été instauré à partir du jeudi 29 octobre 2020 à minuit pour une durée minimale de 4 semaines. Il concerne l’ensemble du territoire national. Pendant le dispositif de confinement, à chaque sortie hors de son domicile, il faut se munir d’un document justifiant que son déplacement est lié à l’un des motifs autorisés. »

Se munir d’un document justifiant du motif de son déplacement, donc, mais pour quelle raison — n’y en aurait-il qu’une, ça suffirait — le justifier par écrit, on ne sait, sinon qu’il le faut.

Ce document doit indiquer mon nom, mes date et lieu de naissance, mon adresse, le motif du déplacement en cochant une case dans une liste fournie, le lieu où on le remplit, la date et l’heure de la sortie, et enfin ma signature.

Mais tous ces renseignements, je pourrais tout aussi bien les donner oralement à un pandore — oui, je vis à la campagne, et ici il n’y a que des gendarmes — qui voudrait contrôler de mon déplacement le bien-fondé — à son gré, bien entendu, parce que comment prouver que je vais acheter du pain lorsque je suis sur le chemin qui mène de mon domicile au boulanger ou, comme je l’ai entendu ce matin, que même si je ne suis pas en jogging, je fais une promenade de santé à moins d’un kilomètre de mon domicile.

Il en est comme de la question de l’intention de nuire à l’intégrité physique ou psychique d’un représentant des « forces de l’ordre », un acte suffit à être interdit ou verbalisé à tel motif qu’en suppute un de ceux-ci, la preuve de l’intention ne viendrait qu’après, si je décide de m’engager dans des démarches longues — plusieurs mois —, coûteuses en temps, en énergie, en argent et en déplacements, et surtout vaines, car comment prouver une intention, ou pire, une absence d’intention ? L’évidence based police (ou même policy) ! Suffirait-il de remplir une attestation qu’on n’a pas l’intention de nuire à l’intégrité physique ou psychique d’un représentant des « forces de l’ordre » avant de se rendre à une manifestation pour pouvoir filmer ces gens ?

Et pour revenir à l’attestation de déplacement, pourquoi attester par écrit ce que je pourrais tout aussi bien dire oralement au pandore ? En quoi indiquer par écrit mon identité, mes date et lieu de naissance, mon domicile, en justifie plus que de le dire oralement ? Et en quoi cocher une case ou indiquer un jour et une heure par écrit atteste-t-il de quoi que ce soit de plus que ce que je pourrais dire ? Et s’il veut des preuves de ce que j’écris, il faudra montrer une pièce d’identité, un document de domiciliation, tout comme si je le lui disais ! Et comment prouver de l’heure à laquelle j’ai débuté ma sortie ?

Je ne comprends pas les raisons d’une telle attestation. La loi m’impose là de faire quelque chose dont je ne vois pas le sens. Mais je suis ainsi fait que J’attends que tout acte, toute demande, provenant d’un de mes semblables, et encore plus lorsqu’il a une responsabilité publique ou sociale, au point même de se targuer d’avoir une autorité sur moi, soit justifié par une raison.

Et là, je n’en vois qu’une, il s’agit de m’installer à une place où je dois me justifier, par avance, à un pandore intériorisé, avant même toute rencontre d’un de ses collègues en chair et en os. Il ne s’agit même pas de rendre des comptes sur ce que je fais à quelqu’un qui me le demanderait, il s’agit de certifier, d’attester, par avance, que je m’inscris dans le cadre légal, comme si ça ne devait pas m’être acquis par avance. Je dois attester que je respecte la loi. C’est-à-dire que je suis considéré a priori comme un délinquant. C’est m’inscrire pour chacun des actes sociaux ordinaires de ma vie dans un rapport infantile à une autorité à laquelle je dois systématiquement et préalablement rendre des comptes. La Justice n’a là rien à voir, la loi n’est plus un cadre évaluant les actes commis selon leurs effets, elle est un conditionnement évaluant les pensées au bon plaisir de l’autorité administrative. L’imposition de l’attestation est une exigence d’allégeance au suzerain, un dressage à la servitude volontaire, un acte subliminal de soumission à Big brother.

En fait, c’est du flan. Alors attestons, si ça peut nous éviter des amendes. Mais au fond, ne soyons pas dupes, alors attestons en connaissance de cause, en l’écrivant d’une main policée et d’un doigt d’honneur.


jeudi 10 décembre 2020, par Éric Bogaert

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