Donald avait 30, peut-être 35 ans quand il est venu me voir pour la première fois il y a 7 ans. Il avait subi une agression en rentrant de soirée (traumatisme crânien avec perte de connaissance, contusions multiples et persistance de céphalées), je lui prescrivais alors un bilan complet biologique et radiologique avec scanner cérébral.
Il revenait me voir 10 jours après avec ses résultats. Le scanner avait mis en évidence fortuitement une masse tumorale de la base du crâne. Un mois plus tard il était opéré. Résultat de l’opération : c’était heureusement une tumeur bénigne (un schwannome de la Xème paire de nerf crânien) mais il en garderait une balafre de 20 cm au niveau cervical et une voix définitivement éraillée du fait de la paralysie séquellaire du nerf récurrent et ce malgré la rééducation orthophonique.
Cette année 2006 ne l’avait pas épargné puisqu’il avait été hospitalisé de nouveau pour une infection cutanée sévère mais également pour une fracture claviculaire qui avait été secondairement déplacée par un nouveau choc et opérée ; enfin un nouvel accident de la voie publique avec un nouveau traumatisme crânien, une plaie de la face et du cou avec des lésions de râpage importantes.
L’urgentiste qui m’avait contacté alors m’avait questionné sur une possible souffrance morale sans que je puisse le confirmer ou l’infirmer. Il avait par la suite pu reprendre une formation professionnelle et finalement de trouver un emploi.
Les années suivantes furent plus sereines jusqu’en 2010 où il se fracture l’épaule lors d’une chute en moto et doit être opéré. Il en garde une autre séquelle nerveuse avec une lésion du plexus brachial avec atteinte du nerf radial qui entraine une amyotrophie du biceps et des troubles sensitifs. Une demande de reconnaissance en qualité de travailleur handicapé est faite auprès de la MDPH [1] car les « pertes » de capacités s’accumulent.
2014 est de nouveau synonyme de traumatisme avec un accident de travail qui se solde par une entorse du genou et une lésion du ménisque qui doit être opérée.
Malheureusement sa prise en charge est interrompue par une incarcération début 2015.
Je l’apprends par un appel téléphonique de l’UCSA [2]sans en connaitre le motif. Je dois transmettre les éléments médicaux en ma possession pour leur permettre d’organiser la poursuite des soins orthopédiques. La maman de Donald m’appelle quelques jours plus tard (je l’avais rencontrée une première fois alors qu’elle accompagnait son fils à la sortie d’une hospitalisation). Elle me fait part de son inquiétude car elle n’a pas de nouvelle de son fils ; sans oser lui dire que je sais qu’il est en prison, je lui recommande d’appeler la police.
Quelques jours après, elle me rappelle pour me dire que son fils est incarcéré sans qu’elle ne sache encore pourquoi. Elle pense que c’est à cause de l’alcool au volant et elle va prendre contact avec un avocat. J’apprends par ailleurs que Donald a pu être opéré de son genou en ambulatoire et les soins sont poursuivis par l’UCSA.
Un troisième appel téléphonique de la maman me surprend. Elle a eu un entretien avec l’avocat et celui-ci voudrait que je lui transmette le dossier médical de Donald. Je lui réponds alors que cela n’est pas possible étant tenu au secret médical. Je reçois en effet quelques jours après un courrier de l’avocat en ce sens ; une réponse écrite lui est transmise lui rappelant que comme lui je suis tenu à un secret professionnel et la manière qui me permettrait d’être libéré de ce secret : avoir un courrier écrit par Donald qui m’autorise à transmette les éléments de son dossier. Je recommande à l’avocat de faire les démarches pour que Donald fasse ce courrier et que je puisse l’identifier.
C’était grâce aux conseils de mes camarades du Syndicat de la Médecine Générale que j’avais sollicités sur notre liste de discussion que j’avais pu élaborer la conduite à tenir en de telles circonstances et les réponses nombreuses m’avaient conforté dans mon attitude.
Il faudra attendre 15 jours pour que le fameux courrier de Donald n’arrive. Je reconnais son écriture, il me demande de transmettre tout son dossier à son avocat qu’il me désigne nommément. Je prends alors la décision de rencontrer cet avocat car je ne sais pas encore ce dont il a besoin réellement comme information et je doute qu’une pile de comptes-rendus de consultation, d’opérations et des ordonnances ne l’intéresse particulièrement.
Je me rends donc à son cabinet (à deux pas du palais de justice) et le rencontre enfin. Après un entretien de 5 minutes, je comprends que Donald est en détention provisoire et qu’il a besoin d’arguments médicaux pour obtenir du juge d’instruction la levée de cette détention. Il m’explique que le document doit être court car sinon il ne sera pas lu dans son intégralité et doit reprendre les éléments de santé qui peuvent convaincre de la fragilité de son patient. Ce n’est pour lui qu’une « banale affaire d’addiction ».
Je quitte le défenseur de mon patient en gardant le sentiment que j’aurais pu en savoir plus sur les faits qui lui étaient reprochés mais je n’avais pas insisté.
J’ai rédigé alors un certificat décrivant un individu aux antécédents traumatiques multiples fragilisé par un état de handicap et une dépendance.
Cette expérience m’a marquée car elle m’a fait toucher du doigt la violence du système judiciaire pour un patient que je sais fragile et en m’interrogeant sur les conséquences à venir. J’ai également essayé de mieux percevoir le caractère de ce jeune homme. Ces faits accidentels sont-ils le résultat de comportements à risque multiples ? Avait-il une personnalité masochiste ? J’attendrais sa sortie pour le questionner à ce sujet…