Il n’est pas bon de s’exprimer publiquement pour affirmer que la médecine libérale est morte, ou qu’elle n’a pas d’avenir… surtout quand on n’est pas médecin libéral.
C’est à coup sûr s’attirer les foudres de nombreux syndicalistes de la médecine générale. Comment oser faire un constat si dérangeant ? Cette affirmation est ressentie comme un affront, voire une insulte, et pour le prouver, ces mêmes syndicalistes font le panégyrique de cette médecine libérale et de son apport à la société. Puis ils y ajoutent, en quête de reconnaissance, un plaidoyer qui décrit la souffrance des médecins généralistes.
Loin de moi l’idée de minimiser cette souffrance, j’ai assez décrit dans ce billet d’humeur, la crise de la médecine générale libérale et, surtout, je l’ai suffisamment pratiquée pour ne pas mesurer l’immense travail, souvent difficile, réalisé par la majorité des médecins généralistes. Mais cette réaction violente, contre ceux et celles qui pensent que l’avenir de la médecine générale est compromis, est-elle la bonne manière de défendre la médecine libérale ? Je ne le crois pas. Il faut être lucide, la médecine libérale et notamment la médecine générale, est en crise ; quand les jeunes générations lui tournent le dos et que les plus anciens ont hâte de dévisser leur plaque, c’est qu’il y a un grave problème.
Il n’y a rien d’insultant à se demander si les fondamentaux de la médecine libérale sont encore en phase avec les besoins de santé de la population, il y a des libertés indispensables à l’exercice de la médecine mais il y a d’autres libertés qui sont devenues incongrues dans la réalité sociale d’aujourd’hui. Nous ne sommes plus en 1927 lors de la fondation de la médecine libérale, mais nous vivons en 2015 dans une société également en crise profonde. Les inégalités sociales sont dominantes, la crise de l’environnement façonne les maladies, l’internet prétend réaliser des consultations médicales… et il faudrait défendre une position archaïque, arc bouté sur la médecine libérale d’hier sans voir qu’il est l’heure de la refonder.
Et pour commencer : définir ce que veut dire libéral.
La vieille opposition entre salarial et libéral n’est plus de mise, cette guéguerre est dérisoire au regard des enjeux qui sont les nôtres, à nous, l’ensemble des médecins généralistes. Tout comme le débat sur la « fonctionnarisation » de la médecine est grotesque alors que déjà les syndicats professionnels ont accepté d’être rémunéré à la performance, et que les patients sont solvables par un système de protection sociale solidaire, système vertueux le plus égalitaire qu’il soit.
Oui ! Il est légitime de s’interroger sur l’avenir de la médecine libérale !
Oui ! Refuser le débat et discréditer ceux et celles qui le posent, ce n’est pas être à la hauteur de l’Histoire.
Heureusement se dessine une ébauche de solution. Petit à petit, dans un pragmatisme réactionnel à la réalité du quotidien, des professionnels soignants libéraux inventent, innovent, « remettent l’ouvrage sur le métier », bousculent l’ordre dominant en modifiant les règles de l’exercice, transforment les pratiques, cassent les tabous, mélangent les concepts… Sont-ils toutes et tous conscients qu’ils jettent les bases d’une refondation ? Probablement pas, mais qu’importe ! C’est dans cette direction qu’il faut aller, et, à l’archaïsme, je préfère le débat autour de l’avenir de la médecine libérale, dans le cadre de l’exercice collectif de la médecine et de la santé.
Il est de temps de faire l’inventaire de ce qu’il faut garder et de ce qu’il faut abandonner. La société aura un regard plus compréhensif et plus aidant si nous nous engageons dans la refondation, plus que si nous continuons à nous plaindre de notre sort, ce qui, comparé à la souffrance sociale, est quand même un peu honteux.