L’affaire n’est pas simple, et nous allons assister le 15 mars à une importante manifestation du monde de la médecine libérale dans une totale confusion. C’est comme si le Medef défilait avec la CGT contre le même projet de Loi. Ici c’est le projet de Loi Santé de madame Marisol Touraine qui pousse les docteurs à battre le pavé parisien. Ils vont venir de toutes les provinces en car, en train, à pied, à cheval peut être… mais pour dire quoi ? Que le projet de loi est mauvais ? On ne peut leur en faire grief, tant cela est une évidence, certains pensent qu’il faut le supprimer, d’autres pensent qu’il faut le modifier, mais le résultat risque tout simplement d’être que cette manifestation marque l’Histoire, comme le début de la fin de la médecine libérale issue du compromis de 1927. Le camp qui défend avec le plus de virulence la médecine libérale issue de ce compromis né du refus de la protection sociale solidaire, s’oppose au camp qui fait le constat que ce modèle est devenu obsolète et qu’il faut construire une nouvelle médecine libérale, mais ils défilent dans la même manifestation, croyant les uns et les autres que l’unification dans la confusion du corporatisme médical va suffire pour supprimer le projet de Loi.
Cela est stupide à plusieurs égards.
D’abord c’est anti populaire, manifester pour refuser l’amélioration de l’accès aux soins quand 30 % de la population y renonce c’est faire un choix éthique condamnable, et c’est faire de cette manifestation la défense des intérêts d’une classe de privilégiés.
Ensuite c’est mettre au grand jour le paradoxe suivant. Ceux qui défendent avec acharnement le modèle libéral deviennent de fait les fossoyeurs de cette médecine libérale. Quand un système n’est plus adapté à une situation sociale, à une évolution de son sujet c’est-à-dire au changement de nature des maladies (la transition épidémiologique), qu’il ne répond plus aux besoins de la population, s’il ne s’adapte pas, il meurt.
Les forces syndicales qui portent ce funeste projet vont manifester transformant la manifestation en un cortège funèbre. Les autres syndicats qui veulent adapter la médecine libérale aux évolutions actuelles vont tenter de faire entre leurs voix mais le slogan adopté est creux : « tous unis pour la santé de demain », il ne porte pas l’espoir, il ne donne pas envie aux futurs soignants de s’engager dans cette médecine à exercice libérale et donc ils aggravent la crise.
Le résultat de toute cette gesticulation va renforcer la détermination des parlementaires à voter cette mauvaise loi, va agrandir le fossé entre la population et la médecine libérale, va continuer à détourner les jeunes générations de la médecine libérale.
Quel gâchis !
Alors qu’il y a tant à faire pour reconstruire un système de santé où une organisation libérale de l’exercice du soin est possible, avec des nouvelles missions, une nouvelle organisation plus collective, plus proche des besoins des populations, avec un nouveau mode de rémunération…
C’est pour cela qu’il faut manifester mais pas pour l’exercice solitaire, le droit de prescrire ce que l’on veut, de s’installer où l’on veut, de faire des dépassements d’honoraires, d’avoir encore illusion parce qu’on est médecin que l’on n’a pas de compte à rendre au pays alors que celui-ci finance les études, et rembourse les consultations et les médicaments. Les médecins libéraux ont peur de devenir des fonctionnaires, c’est une peur irrationnelle quand les médecins libéraux acceptent le paiement à la performance, quand l’industrie pharmaceutique tient le stylo du prescripteur, quand le patient a accès à toute l’information. C’est quoi l’illusion de la liberté dans une société démocratique ? et il ne faut pas s’étonner si cette illusion de liberté à laquelle la médecine libérale s’accroche conduit à la marginalité.
Il est préférable de négocier le sens et le contenu de ses missions, ainsi que le niveau de rémunération, avec le pouvoir qui gère la société que de s’enfermer dans un refus suicidaire. Ou alors il faut faire la révolution pour changer la société ! mais ce n’est pas comme cela qu’il faut s’y prendre, jamais sans le peuple !