Frédy Cotard
Chef d’entreprise dans l’événementiel
En 36 ans de vie avec le Sida, je n’ai jamais demandé à la société de prendre des mesures sanitaires pour faciliter mon quotidien. Au travers de ma propre histoire, ce document apporte modestementun éclairage sur certains aspects et dérives des politiques sanitaires menées depuis début 2020.
J’ai 61 ans. Je suis séropositif au VIH depuis juin 1984. Séropositif, qu’est-ce que ça signifie ? Diminution des défenses immunitaires et risque permanent d’attraper des maladies bénignes pour la population générale mais devenant potentiellement mortelles pour moi. En 36 ans de vie avec le Sida, je n’ai jamais demandé à la société de prendre des mesures sanitaires pour faciliter mon quotidien. Je me suis adapté de manière empirique et j’ai appris à éviter de nombreux pièges de transmissions des virus et autres bactéries. Malgré toutes les menaces présentes dans un monde où personne ne se souciait de la santé des autres, je suis fort heureusement encore vivant et bien portant. C’est cette expérience probante qui me permet aujourd’hui de m’insurger contre les politiques de protection sanitaires où le comportement de tous est réglementé pour préserver une infime partie de la population dite « à risque ».
C’est une colère et une frustration de constater que des raisonnements de bon sens ne sont pas pris en compte. Pendant ce temps, la pandémie prospère et les mesures prises alimentent les crises, économique, sociale et psychologique. Tout cela sur fond de stigmatisation de secteurs entiers du divertissement dont mon métier fait partie, désignés sans preuve aucune comme les principaux responsables de la propagation du virus.
Positif au VIH, je vis
En juin 1984, un chirurgien et son équipe m’ont opéré avec succès des suites d’un pneumothorax. Cette opération lourde nécessitait une transfusion sanguine. Les entreprises médicales, médecins et personnels sanitaires qui fournissaient les lots de sang aux hôpitaux, faisaient partie du Centre national de transfusion sanguine, dirigé par le Dr Michel Garretta, sous la tutelle de la ministre des Affaires sociales Georgina Dufoix. Les poches de sang nécessaires pour mon opération se sont avérées contaminées non seulement au VIH, mais en plus par l’hépatite B et l’hépatite C… Un magnifique cocktail que l’on peut qualifier de bombe à retardement qui impacte encore ma vie trente-six ans plus tard.
Pour des raisons économiques, politiques et financières, des stocks de sang contenant du virus VIH ont continué à être écoulés pendant des mois, sans réaction ni intervention des ministres de l’époque Georgina Dufoix, Edmond Hervé (ministre de la Santé) et Laurent Fabius (Premier ministre). Cette affaire dite du « sang contaminé » a été jugée pour partie en 1991 et la déclaration de Georgina Dufoix :« Je me sens tout à fait responsable, pour autant je ne me sens pas coupable » (Émission 7/7 du 3 novembre 1991) est restée tristement ancrée dans ma mémoire. Les résultats de ce premier procès concernaient uniquement quelques professionnels de la santé servant de « fusibles ». Emprisonnement et amendes pour les médecins Michel Garretta et Jean-Pierre Allain (adjoint de Garretta). Prison avec sursis pour le Directeur général de la Santé Jacques Roux.
Un deuxième procès aura lieu en 1998 devant la Cour de Justice de la République créée pour l’occasion et qui servira à juger des ministres ou anciens ministres. Fabius et Dufoix seront acquittés (« Responsables mais pas coupables ») et Edmond Hervé condamné mais dispensé de peine…
En ces quelques mois cruciaux entre 1983 et 1985, nous voyons un résumé terrible des dégâts occasionnés par l’absence de professionnalisme des uns et des autres, les jeux de pouvoir au sein même de la communauté scientifique et la toute-puissance de la parole publique et des médias. Il a fallu attendre 1991 pour mettre à jour ce scandale. La confiance dans notre système de santé français était pourtant exemplaire en ce début des années quatre-vingt. Je faisais partie de ces citoyens croyant que la médecine et l‘État mettaient tout en œuvre pour sauver ma vie lorsque je me suis retrouvé sur ce lit d’hôpital en juin 1984.
Depuis cette époque, j’ai appris à vivre avec le VIH. Je maîtrise les gestes d’hygiène et de protection qui me permettent d’esquiver les virus, bactéries et autres maladies, sources potentielles de détérioration grave de ma santé pouvant me conduire à une mort certaine. Me laver les mains, je sais faire ! Et surtout sans gel hydro-alcoolique mais avec du savon… Rester à un mètre d’une personne qui tousse ou éternue, faire un détour ou retenir ma respiration au moment de croiser cette personne, c’est un réflexe que je maîtrise depuis bien longtemps. De nombreuses habitudes se sont ainsi ancrées dans mon quotidien. Elles pourraient opportunément trouver leurs applications aujourd’hui dans le but d’éviter la propagation du virus Covid. En voici les détails :
- Ne pas toucher les barres du métro ou du tram avec les mains : s’appuyer sur la barre avec le dos ou de côté, prendre un équilibre en étant les deux pieds perpendiculaires au sens de marche (c’est beaucoup plus stable que si l’on est les deux pieds face à l’avant ou l’arrière). Essayez, c’est un excellent exercice d’équilibre ! S’il n’y a vraiment pas d’autre solution, l’appui peut se faire sur la barre avec le coude ou le bras, le vêtement faisant office de protection.
- Ne pas prendre la poignée des caddies de supermarchés. Le guidage du caddie se fait très bien en le prenant par le côté ou en le tirant par l’avant. De plus, la désinfection systématique des poignées de caddies aurait pu être une obligation pour les magasins et devrait le devenir aujourd’hui. Cela s’est fait au début de cette crise en 2020, mais depuis on ne peut que constater le relâchement et l’abandon de ces pratiques vertueuses.
- Éviter les contacts directs avec les poignées de portes en appuyant avec le bras, la manche du vêtement faisant office de protection.
- Éviter de la même manière les poignées des vitrines ouvrantes des rayons frais dans les supermarchés. Essayer de les prendre par le haut, le côté, ou avec les pieds par le bas.
- Pour tout ce qui concerne les portes, il est intéressant de noter qu’il existe des systèmes pouvant s’adapter sur les portes existantes, facilitant leur ouverture en utilisant les pieds sans risque de contagion sur les mains. Ces systèmes pourraient être imposés dans tous les commerces alimentaires et tous ceux recevant du public (pour les portes de toilettes aussi). Cet investissement subventionné par les pouvoirs publics serait pérenne et pertinent pour éviter toutes les maladies connues et futures se transmettant actuellement par ce biais. Imaginons les nombreux morts de la grippe qui auraient pu être épargnés depuis des années si ce procédé avait déjà été imposé !
- Utiliser l’extrémité des clés (de voiture ou maison) pour appuyer sur un bouton d’ascenseur, de péage ou faire un code sur un terminal bancaire.
- Sélectionner les commerces et grandes surfaces les plus respectueux de l’hygiène, notamment être attentif à ceux qui ont pris conscience qu’on ne manipule pas la monnaie avec la même main qui a touché le pain ou les fruits et légumes… De plus en plus ont adopté des mesures telles que la présence d’une personne dédiée au paiement à la caisse qui ne touche pas les produits, mais également la manutention des produits avec des pinces. Malheureusement, ceci n’est pas toujours le cas, notamment sur les marchés où ces règles sont peu suivies. La possibilité de se retrouver avec du pain ou des légumes souillés est grande. Même si l’on lave les légumes par la suite, il est à noter que la manipulation que l’on fera entre le marché et son chez-soi se fera sur un produit potentiellement souillé. Alors, il est probable qu’une dispersion de germes se fasse sur d’autres surfaces touchées entre-temps. La réponse des pouvoirs publics pourrait être la mise en place d’une législation obligeant les commerçants à s’équiper de monnayeurs de caisses automatiques. Ce type de machines permet de sécuriser l’hygiène de l’encaissement des espèces, car seul le client est en contact avec la monnaie. Celle qu’il insère dans le monnayeur et celle que le monnayeur lui rend automatiquement après déduction de sa note. Le coût de cette mesure serait pris en charge pour partie par l’État dans la mesure où la répercussion serait un bénéfice sur la santé publique.
- Lors des repas privés, familiaux ou entre amis, éviter de présenter les aliments en assiettes ou récipients groupés. Cette habitude prise surtout lors des apéritifs avec des assiettes ou coupelles de cacahuètes, gâteaux apéritifs, olives était un réflexe que j’ai banni car les germes passent depuis les mains jusqu’à l’assiette commune. Je pense que c’est tout aussi risqué si l’on prend les aliments avec des fourchettes ou des pics, ce qui est une fausse bonne idée, car le contact de la fourchette avec la bouche facilite ensuite le passage de bactéries depuis la fourchette vers le plat commun. C’est encore plus flagrant lorsque l’on propose des légumes frais tranchés à tremper dans une ou plusieurs sauces. Le fait de manger une partie d’un légume (contact bouche) puis de tremper la partie restante à nouveau dans une sauce, peut infecter celle-ci. On l’aura compris, les aliments proposés pour les apéritifs devraient être servis de manière individuelle.
J’ai appris à ne pas compter sur les autres pour préserver ma bonne santé. Jusqu’à cette épidémie de Covid-19 en mars 2020, les autres, c’est-à-dire la population en général, n’ont rien fait pour me faciliter la tâche dans ma recherche d’un environnement sanitaire « sécurisé ». Je ne m’en suis jamais plaint et je n’ai jamais revendiqué quelque mesure que ce soit qui entraverait la liberté des autres pour me protéger. Aujourd’hui, l’État m’impose des règles de protection infantilisantes. Parfois celles-ci sont contre-productives, car la majorité des personnes peut penser qu’il suffit de les respecter pour être protégé. C’est le cas notamment dans des lieux à fort brassage de population tels que les hypers, supermarchés et les transports en commun. Alors, pourquoi ne pas tenir compte de toutes les habitudes que j’avais prises pour ma propre sécurité sanitaire et qui sont énumérées plus haut, afin de permettre à tous de vivre avec ce nouveau virus en évitant de s’en prendre aux libertés ?
Négatif à la Covid, je meurs (effets délétères des stigmatisations)
Dans la société du monde « d’avant 2020 », je m’étais construit une tranquillité d’esprit grâce à un équilibre psychologique vital basé sur des habitudes sanitaires, un traitement qui m’a épargné ses effets secondaires à ses débuts et une santé mentale renforcée notamment par une vie sociale tout à fait normale pour le séropositif que je suis.
Je passerai les détails de toutes ces années vécues avec une maladie silencieuse et surtout avec cette urgence de vivre parfois difficile à comprendre pour mon entourage. Cependant, j’aimerais souligner un point fondamental dans l’équilibre mental qui m’a permis de vivre avec ma maladie. Il s’agit de la réussite de ma vie sociale et professionnelle. Après avoir passé de nombreuses années dans l’édition musicale au sein d’une multinationale du disque, j’ai créé mon entreprise dans l’événementiel, ce qui m’a permis de vivre de mes passions pour la musique et la danse. J’organise et j’anime des événements festifs dans des restaurants, des bars ou des salles de réception pour des soirées telles que mariages, fêtes d’entreprises, anniversaires. Cerise sur le gâteau, j’ai la chance et le bonheur de pratiquer le tango argentin depuis cinq ans, j’ai le plaisir de faire découvrir cette danse dans des soirées que j’anime en qualité de DJ néotango où l’on danse le tango argentin sur des musiques actuelles.
J’emploie le présent pour souligner la sensation d’arrachement créée par la situation sanitaire en cette année 2020. Mes activités et passions me sont aujourd’hui toutes interdites… Enlevées, arrachées. Toutes les branches de ma profession sont maintenant stigmatisées, considérées comme « non essentielles » et interdites au gré des divers couvre-feux et autres confinements. Les mots-clés de mon bonheur, de mon équilibre, de mon existence sont devenus synonymes d’un futur défendu.
Cette privation de mes activités dégrade ma santé et celle de milliers de personnes des secteurs économiques cités plus haut. C’est un effet totalement contre-productif des mesures prises pour protéger la vie d’un petit pourcentage de la population. De plus, les raisons avancées pour les interdictions (mises en œuvre de façon non démocratique) sont basées sur des critères de transmission du virus et de brassage des populations complètement aléatoires et arbitraires.
La stigmatisation était déjà, malheureusement, une des composantes de la crise du Sida. Au commencement de cette épidémie, lorsque les recherches étaient encore balbutiantes, les autorités sanitaires américaines ont clairement identifié certains groupes aux comportements à risque qu’elles ont contribué à stigmatiser et à discriminer longtemps par la suite avec l’utilisation du terme « 4H » : héroïnomanes, homosexuels, hémophiles, haïtiens. Une des conséquences néfastes de cette prise de position a été la relative insouciance de tout le reste de la population face à la maladie. Pendant cette période, ce qu’on appelait le « cancer gay » faisait la une des médias.
Cette vision de l’épidémie renforçait le faux sentiment d’être protégé du virus dans la population hétérosexuelle, participant ainsi à la contagion à grande échelle.La focalisation des recherches sur les groupes des 4H a également retardé les avancées qui auraient pu être faites si la communauté scientifique, dans son ensemble, avait prêté attention plus tôt à certaines voix dissonantes qui commençaient à alerter sur des modes de transmission qui concernaient toute la population. En effet, il est utile de rappeler ici que le VIH se transmet par le sang, le lait maternel et les sécrétions génitales, donc largement hors du groupe des 4H. Une des leçons apprises à cette époque, a été le fait qu’il était bien plus utile d’associer ces groupes dans le combat contre la pandémie, plutôt que de les montrer du doigt injustement.
Je n’hésite pas à comparer cette stigmatisation des 4H avec ce qui se passe en 2020 autour des pratiques et lieux supposés propagateurs de la Covid-19. Tous les éléments sont réunis pour une comparaison. Même degré d’urgence après la découverte du virus en février 2020, qui nécessite de transmettre une information rapide à la population pour montrer que le corps médical et politique maîtrise le sujet. Même manque cruel d’enquêtes véritablement sourcées et chiffrées du fait de l’absence de recul sur la maladie qui vient juste d’être découverte. Même entêtement pour une partie des scientifiques à se focaliser sur une seule hypothèse, ce qui a l’avantage de rendre la situation simple (les méchants propagateurs d’un côté et les gentils vertueux de l’autre), quitte à se servir d’une enquête bâclée en l’occurrence l’étude ComCor de l’Institut Pasteur pour apporter des éléments uniquement à charge. En 2020, les catégories stigmatisées ont été clairement désignées dès le mois de mars. Il s’agissait des lieux de divertissement et de culture, avec des degrés de dangerosité supposés, allant des discothèques (niveau le plus dangereux) aux théâtres, cinémas, salles de spectacles en passant par les bars, restaurants et les salles de sport.
Aucune enquête sérieuse ne prouve à ce jour que la responsabilité des lieux de divertissement dans la multiplication du virus Covid-19 serait plus importante que dans d’autres lieux tels que les transports en commun, les cantines scolaires, les centres commerciaux, les entreprises ou la sphère privée. Alors pourquoi continuer un seul jour de plus à stigmatiser, au risque d’ajouter une discrimination et de se priver des compétences professionnelles de ces lieux et métiers pour endiguer la circulation de la maladie ?
Conclusion
Depuis la découverte du virus du Sida au début des années quatre-vingt, 36 millions de personnes sont mortes dans le monde de cette maladie. Le pic de ce décompte macabre a été atteint entre 2002 et 2006 avec près de 2 millions de morts par an à ce moment-là. En 2020, le nombre de décès liés à la Covid-19 est aux alentours de 1,8 millions. Les chiffres annuels sont relativement identiques et bien d’autres aspects sont comparables entre ces deux pandémies. Je citerai notamment l’approche préventive, qui pour moi est la même lorsque l’on se place du point de vue du patient déjà séropositif au VIH. Celui-ci ne doit pas être exposé à des virus ou bactéries potentiellement mortels et cette précaution est la même pour ne pas attraper la Covid. Un autre point comparable est la manière dont les politiques abordent les questions de santé publique, ignorant les besoins de soins et de santé, les besoins culturels, les conflits d’intérêts, les réalités médico-sociales et enjeux de pouvoir, enjeux économiques, etc. L’analyse du passé peut ainsi nous permettre de ne pas reproduire certaines erreurs alors qu’il est encore temps d’agir ou de rectifier certaines politiques.
Allons-nous mettre à plat le système économique, social et démocratique à chaque nouveau virus, ou à chaque évolution de celui-ci ?
Des solutions durables et de bon sens existent pour éviter les méthodes moyenâgeuses et liberticides que sont le confinement et le couvre-feu. Mon propos de « patient à risque survivant » ne se prétend pas exhaustif. L’idée est d’ouvrir un espace de discussion, de liberté et d’espoir qui est trop souvent refusé depuis le début de cette crise.
Le sujet « à risque » que je suis face à la Covid-19 ne veut plus payer pour les autres, être privé de son travail et de sa liberté. J’ai déjà payé le prix fort en 1984 et je me suis adapté. Je suis prêt à prendre mes responsabilités et quelques risques supplémentaires de mourir de la Covid pour avoir le droit de vivre correctement et non pas de survivre. Presque tout le monde peut s’adapter en menant une vie normale. Celles et ceux qui ne le peuvent pas ou qui ont trop peur de s’exposer, devraient s’auto-confiner et l’État peut les y aider financièrement et techniquement. Comme avant 2020, c’est à la minorité « à risque » que l’on doit demander de faire des efforts et non pas l’inverse. Une avancée que l’on peut suggérer ici est la prise en charge de ces efforts par les pouvoirs publics, ce qui n’était pas le cas auparavant.
L’interdiction, la stigmatisation et la criminalisation de mon métier me conduisent à une perte d’espoir accentuée par les critiques souvent haineuses envers les secteurs du divertissement.Il suffit de voir le niveau de violence des échanges sur les réseaux sociaux où la moindre prise de position un peu divergente du discours « mainstream » est très souvent suivie en guise de débat par un argument imparable, la menace de mort. J’en ai moi-même fait l’expérience pour avoir « osé » participer à des manifestations où j’exprimais ma volonté de retrouver ma liberté de travailler.
La menace de mort, je l’ai reçue il y a bien longtemps déjà. C’était en juin 1984.