J’ai soigné autrefois un très, très vieux couple. L’un d’eux, lui ou elle, je ne sais plus, m’avait confié dans un sourire teinté de regret « qu’ils ne s’emmêlaient plus guère ».
Elle s’est éteinte la première. On m’avait alors appelée en urgence et c’est moi qui lui avais fermé les yeux. En quittant cet homme qui venait de perdre sa femme, je l’avais bien sûr embrassé.
Ensuite, j’ai continué. Un jour, par hasard, j’avais mis du rouge à lèvres qui a laissé une marque sur sa joue. Cela devint un rituel que nous avons observé à chacune de mes visites.
Aujourd’hui, a posteriori, je comprends pourquoi : ce registre de la séduction, qui me paraissait utile et bénéfique, l’était parce qu’il portait le souvenir de sa femme, aimée, disparue, que j’avais aussi tenue dans mes bras. En donnant vie à la mémoire de l’absente, mon rouge à lèvres avait tenté de s’interposer entre la mort qui s’approchait de lui.
Mais à l’époque, je ne l’aurais pas formulé ainsi. Tout ce que je savais, c’était que j’étais avec lui dans le mouvement de la vie.