Payer votre médecin à la performance ? Méfiance !

Thatcher, citée par Christian Laval, n’hésitait pas : « L’économie n’est que le moyen. Le but est de changer l’âme ».

Ce disant, elle ne faisait que paraphraser son illustre compatriote Jeremy Bentham, qui dès la fin du 18ème siècle, professait pouvoir conduire les hommes par « des fils de soie qui s’enroulent autour de leurs affections et se les approprient ».

Deux siècles après Bentham – on n’est pas des rapides – la « Performance [1] » faisait une entrée tonitruante dans le monde de l’Education nationale, grâce à la prime à la fermeture des classes, attribuée aux recteurs zélés. Seuls quelques fonctionnaires particulièrement sourcilleux devaient en tirer les conséquences, sauvant l’honneur en rendant leurs palmes académiques à leur ministre de tutelle.

Il serait naïf de s’étonner, aujourd’hui, de l’extension de ce cancer au monde de la santé, avec la prime proposée aux généralistes : bien avant l’Education nationale, l’hôpital n’avait-il pas montré le chemin, quand la loi H.P.S.T. introduisait un critère d’intéressement aux résultats financiers de leur service, pour les praticiens hospitaliers embauchés sur contrat ?

C’est ainsi que procède le loup, dans les contes pour enfants : c’est un à un qu’il mange les petits cochons, chacun s’imaginant que ce qui arrive au voisin ne saurait l’atteindre.

Eh bien, nous y voici : une majorité de syndicats de médecins libéraux ont signé une convention avec l’Assurance maladie, introduisant la « Performance » comme critère de rémunération.

L’oublié par ce gentil petit monde ? Le patient ! Etrange, si l’on veut bien considérer que c’est lui, en définitive, que les futurs « performants » auront pour mission de « performer ».

Je me propose donc de tenter de réparer cet oubli, dans le modeste espoir qu’un peu de créativité en la matière ne saurait être malvenue.

Voici donc quelques critères que je soumets aux instances chargées de prendre le relais du défunt CAPI (« Contrat d’amélioration des pratiques individuelles », pour ceux d’entre nos lecteurs peu familiers de la jungle des sigles gouvernant le monde aseptisé de la santé).

1. Faire baisser de 10% le taux de diabétiques dans sa clientèle : pour mieux se sucrer, qui dit mieux ?
2. Même performance pour ce qui est de réduire la proportion de patients CMU. Très aisé pour d’aucuns : ils atteignaient le seuil mirifique de deux clients de ce type. Passer à un seul, c’est déjà 50% de mieux : « Un petit pas pour l’homme, un pas de géant pour l’humanité », comme disait l’autre.
3. Encore même performance pour ce qui est de réduire les IVG : restaurer la natalité devient un devoir patriotique, face aux multitudes chinoises. N’est-il pas ?
4. Mieux se former : pour cela, produire un agenda dûment tamponné par son visiteur médical préféré, prouvant que son hôte a accru, toujours du même taux de 10% (plus facile pour les calculs, tout le monde ne sort pas de l’X), le nombre d’heures qu’il lui a consacrées sur l’année.
5. Enfin – nous arrêterons là cet inventaire – produire un certificat, cette fois-ci tamponné par Servier lui-même, attestant qu’un quart au moins des prescriptions ont été consacrées à des médicaments produits par la firme, sans possibilité de substitution. Cela, en guise de contribution aux Grandes causes nationales : le sauvetage d’un alchimiste méritant, injustement épinglé, dès 1977, par un organe de presse douteux. [2]
Qu’écrivait donc dans son Serment, un certain Hippocrate : « "Je ne me laisserai pas influencer par la soif du gain".

Requiecat in pace…

jeudi 5 janvier 2012, par Lucien Farhi


[1Performance ou corruption ?

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