Performance ou corruption ?

Très récemment, au mois de février, un certain nombre de membres de l’Education Nationale, tous décorés antérieurement des palmes académiques, ont fait part de leur décision de rendre leur décoration à leur Ministre. La raison d’un tel éclat ? L’attribution d’une prime de résultat aux recteurs d’académie, fonction du nombre de classes que ces derniers auraient réussi à fermer.

Ainsi agit le poison de l’intéressement - ces « fils de soie » dont parlait Bentham -, par une gangrène progressive de ce que l’on appelait autrefois la fonction publique. Ce serait néanmoins une erreur de croire que le procédé est nouveau. Depuis des décennies, il en est de même de la rémunération de hauts serviteurs de l’Etat. Tout le monde sait-il que les ingénieurs des Ponts et Chaussées joignent à la part fixe de leur rémunération une part variable, fonction elle même du montant des travaux d’équipement qu’ils auront réussi à faire voter par les collectivités locales de leur juridiction : routes, ouvrages d’art hydraulique, etc. ? Même procédé pour les ingénieurs du Génie rural, pour les Trésoriers payeurs généraux… Sachant que le statut de ces derniers, bien que datant de 1865, reste directement inspiré par les usages de l’Ancien Régime, on ne peut donc que constater l’ancienneté des racines du mal.

Les parents d'élèves de Buis les Baronnies ont collecté 219 € adressés au recteur pour le "désintéresser" !

Photo : Les parents d’élèves de Buis les Baronnies ont collecté 219 € adressés au recteur pour le « désintéresser » !

Ce que découvrent aujourd’hui avec effarement usagers comme acteurs de l’Education nationale, parents, enfants, instituteurs, n’est en définitive que la progression d’un cancer déjà identifié. Ce qui change, c’est la promotion de l’infection par ceux-là mêmes en charge de défendre le corps social menacé. Ainsi, de la Santé : « Je ne vois pas pourquoi une politique d’intéressement, à laquelle je crois tant dans le secteur privé, ne s’appliquerait pas dans le secteur hospitalier ? » [1]. Et pour éviter de s’arrêter en si bon chemin, du secteur public on est passé à la médecine de ville : ainsi est né le CAPI (contrat d’amélioration des pratiques individuelles), part variable de rémunération des médecins libéraux, basée sur des objectifs médico-économiques douteux en termes d’efficacité d’amélioration de la santé publique.

Mauvais calcul. A s’obstiner à confondre de la sorte bonne gestion d’un service public et rémunération à la « performance », on n’aboutit inéluctablement qu’à récolter dégât social à la place de l’un, corruption à celle de l’autre, soit un résultat global doublement négatif, en termes de comptabilité nationale.


samedi 16 avril 2011, par Lucien Farhi


[1Nicolas Sarkozy : Discours de Bletterans

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