Oui ! Mais…

Comment s’élabore Pratiques ? Isabelle Canil avait pris sur le vif un de nos remue méninges pour le lancement du numéro 49 : "La place du patient"...

Le vendredi 5 décembre 2009 ; a eu lieu à Toulouse, le débat de Pratiques, préparant le numéro d’avril sur la place du patient, ou quelles places pour le patient, et le soignant par la même occasion…
Enfin, quelque chose comme ça….

Moi j’y suis allée, parce que maintenant je connais Pratiques, et parce que c’était dans ma ville. Et surtout parce que ma copine Evelyne m’avait dit « allez, viens ! Mais si ! Viens !…Même si je suis pas médecin ? Mais oui ! Viens ! »
Et ce débat, figurez-vous, était très… C’est compliqué de dire ce qu’il était, ce débat...

Une dame à la table a longuement présenté le sujet. Ou le thème. Ou la question.
Il y avait aussi un dessinateur, qui attrapait au vol un mot ou une phrase, et hop ! Il les transformait en dessin qu’il nous projetait sur un écran. J’étais impressionnée…
Il s’agissait de la mieux cerner la question, et de ne pas en oublier des aspects, et de pressentir qui pourrait écrire sur tel ou tel point.

C’est qu’il y en avait des points ! Et c’est qu’aucun n’était univoque… de sorte que chaque parole en amenait une autre qui commençait par : “oui ! mais…. ”
Le malheur, c’est que les paroles avaient l’air de se renvoyer l’une l’autre dos à dos. Chacune appelait elle-même à son retournement.
Je dis “ malheur ”, mais les Pratiquants, eux, n’étaient pas dans le malheur ! Ils avaient plutôt l’air de jubiler, à traquer et débusquer les complexités à tiroirs de chaque idée. On les sentait bien entraînés !

Un Monsieur venait de parler. C’était bien ce qu’il disait ! Ca ouvrait tout un champ de pensée. Ca paraissait sensé, pesé, mesuré. Il savait de quoi il causait, ça se voyait. Et ça faisait pas langue de bois. On entendait de la sincérité.
On avait même éprouvé une satisfaction bienfaisante à entendre son idée mise en mots. On s’était dit : « oui, c’est exactement ça….c’est ce que je me disais… » Mais nous, c’était en amont des mots. Lui, il avait mis en forme et formulé. Voilà. Et on était reconnaissant. La parole de l’autre avait rassemblé, circoncrit toutes nos errances. Alors de plaisir, on bougeait un peu sur sa chaise. C’était comme si par procuration, on se sentait intelligent.

Mais le suivant prenait déjà le micro, et il enchainait : “ Oui, mais…. ”
On sentait aussi dans sa parole la même volonté honnête de dire au plus juste. Il voulait “ témoigner ” à son tour, ou “ rebondir sur ce qui avait été dit ”.
Mais l’éclairage était complètement différent ! Et s’obscurcissaient alors pour un temps les lumières qu’on se flattait d’avoir entrevues !

Secondes d’affolement….Qui croire ? Qui avait raison ? On était perdu...
Mais pas le temps de s’arrêter sur son désarroi. Le micro était ailleurs et quelqu’un parlait de la mal traitance (en deux mots) que peuvent subir les patients.
Mais un autre disait que « Oui ! Mais… il venait d’accompagner son père très âgé à l’hôpital, et il était plutôt admiratif de la façon dont son vieux père avait été reçu et soigné. »
Alors on a dit que « Oui ! Mais …quand on parlait de mal traitance, on faisait plutôt référence au système, qui, en souscrivant de plus en plus aux techniques de management, induisait des fonctionnements mal traitants pour les patients. Mais qu’heureusement, les soignants dans leur majorité, n’étaient pas mal traitants. »
Alors quelqu’un a dit que « Oui ! Mais… il fallait se garder de cet angélisme ! Le système induisait des fonctionnements peu humanistes certes, mais certains soignants adoraient ce système et se cachaient derrière lui pour en tirer profit. »

Un autre a parlé du patient volontiers assimilé à un consommateur de soins, un client, cible des laboratoires, et objet instrumentalisé.
Mais alors, un autre qui avait de la bouteille a dit que « Oui ! Mais… il y a 40 ans, un patient, c’était un dossier. Au mieux, des initiales sur ce dossier. On ne devait pas méconnaître la formidable évolution qui avait permis à ce patient objet, de se constituer comme sujet. »

Et puis quelqu’un a parlé des premières associations de malades, créées par les malades du SIDA, et qui s’étaient affirmées depuis en réelle force sociale. Et de fait, les rapports soignants-soignés en avaient été bouleversés.
Pour le meilleur ? Pour le pire ? Les deux sans doute.

« Oui ! Mais… quand les malades prétendent en savoir autant que le médecin, quelle place le soignant peut-il occuper ? Si le soignant devient associé, partenaire, est-ce que c’est mieux ? »
J’ai à peine eu le temps de penser aux curés, et aux maîtres d’école… pour eux aussi, c’est plus ce que c’était...

Et puis quelqu’un a remis en cause le mot “ patient ”. Il préférait dire “ citoyen ”. Un malade citoyen, quelle audace. ! L’idée m’a paru belle… vertigineuse d’utopie aussi !

Il y avait tout ça… Et ça fusait de partout…
Et on voyait que chaque idée si évidente, ou si ressassée, ou si neuve soit-elle, avait comme un revers. Et ainsi, telle une médaille, elle était retournée. Et la face cachée, alors révélée, méritait qu’on s’y arrête tout autant. Impossible ici de s’asseoir sur une certitude définitive.

Je comprenais vaguement petit à petit que c’était leur technique. Ce qui jaillissait de cette marmite d’idées bousculait sans cesse la donne. Un chaudron qui bouillonne, dont chaque bulle qui monte à la surface doit être examinée. Et le truc important, c’était de toujours se garder qu’une bulle ne chasse l’autre…
Quel boulot !
Comment ils vont faire à Pratiques, pour faire leur numéro ?

dimanche 16 février 2014, par Isabelle Canil

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