Dès la première consultation, interroger un patient sur son travail peut paraître inquisiteur à ce dernier, pourtant la connaissance de l’emploi est fondamentale pour le médecin traitant. Chaque fois que se pose un problème de santé, le professionnel se doit de s’interroger des causes et des conséquences sur l’emploi, afin d’informer le patient sur ses droits, d’autant que depuis la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, les visites en médecine du travail sont devenues bisannuelles [1] sauf pour les salariés à surveillance médicale renforcée (SMR) [2], leurs modalités sont inscrites dans le code du travail [3]
L’accident de travail (AT) peut être déclaré jusqu’à deux ans après la date de celui-ci. Un volet (Cerfa N°S6291) est fourni par l’employeur ; même en l’absence de celui-ci, le médecin consulté peut remplir un certificat d’AT (Cerfa N° S6909) constatant les lésions, mais le patient devra procéder à l’avance des frais. La signification de l’accident ne revient pas au médecin, mais à la CPAM. Le certificat initial doit être le plus descriptif possible, ne négligeant aucune lésion, les certificats rédigés aux urgences sont souvent succincts, et sont une perte de chance ultérieure pour les patients d’être indemnisés, le patient ne devra pas hésiter à revoir le plus rapidement possible son médecin traitant pour rédiger un certificat médical complémentaire.
Suspectée par le médecin, la maladie professionnelle sera déclarée par le même formulaire que celui de l’AT en notifiant la date de 1e constatation, le diagnostic, le numéro du tableau : les renseignements médicaux doivent coller au plus près de ceux du tableau [4], un formulaire (Cerfa N°S6100) retraçant la carrière professionnelle est rempli par le patient ; l’ensemble est adressé en lettre recommandée avec accusé de réception ou déposé à la CPAM contre un accusé de réception. La liste des maladies professionnelles et les conditions de prise en charge sont consultables sur le site de l’INRS [5] . Un formulaire est alors délivré par la CPAM au patient pour dispense d’avance des frais. La caisse a trois mois pour instruire le dossier, trois mois supplémentaires sont souvent requis, le dossier est alors souvent soumis au CRRMP [6] qui rend un avis motivé sur le lien entre la maladie et son origine professionnelle. Sans réponse de la part de la CPAM à six mois et un jour, l’origine professionnelle est admise implicitement et le patient se doit de le demander à la caisse ainsi que les indemnités qui s’y rapportent. Pendant ces six mois, le médecin du travail, l’employeur sont interrogés ; en cas de refus, le patient devra demander le dossier d’enquête, souvent instructif, ce qui peut lui permettre d’engager des poursuites jusqu’au tribunal administratif.
Nous devons nous interroger devant toute tendinite ou syndrome canalaire, sur un surmenage au travail par des gestes répétitifs et déclarer une MP (trouble musculo-squelettique).
Par principe, évoquer toujours une origine professionnelle face à un un cancer, même si le patient est fumeur ; les plus fréquents étant les cancers pulmonaires, ORL, vésicaux. La découverte d’une tumeur hématopoïétique ou d’un syndrome myélodysplasique doit conduire à enquêter systématiquement sur la manipulation de produits toxiques depuis le début de la carrière du patient et sur des cas similaires dans l’entourage professionnel. Il convient d’interroger le patient et le médecin du travail sur les produits toxiques manipulés, de vérifier la réalité de la toxicité des produits, de ne pas se contenter des dires des médecins du travail qui pourraient être mis en cause devant leur inertie face à la prévention.
Dans le règlement intérieur est noté où peut être consulté le document unique d’évaluation des risques que l’employeur est tenu de mettre à la disposition des salariés [7] , dès l’embauche, une information et une formation à la sécurité doivent être dispensées. Le travailleur peut ainsi fournir au médecin la liste des produits toxiques manipulés ; grâce à la « BASES DE DONNEES » de l’INRS, celui-ci pourra chercher plus d’informations dans les « Fiches toxicologiques » (synthèse des informations concernant les produits) et« biotox » (modalité de surveillance biologiques et mention des laboratoires pouvant effectuer les mesures). Le médecin peut aussi consulter les documents d’études de la DARES [8] sur les expositions aux risques professionnels par « secteur d’activités », « famille professionnelle », « ambiance et contraintes physiques », « produits chimiques ».
Le certificat médical descriptif final avec séquelles doit être aussi très précis ; il permet au patient de bénéficier d’indemnisations ; le barème de la CPAM [9] permet d’apprécier si le taux d’IPP [10] attribué par le médecin conseil est correct ; ce taux étant revu souvent à la baisse, le patient devra le contester : si l’IPP est inférieure à 10%, un capital est versé, si elle est supérieure à 10%, une rente est allouée et de plus, la qualité de travailleur handicapé est automatiquement acceptée par la MDPH [11] pour toute victime d’AT/MP, sous réserve d’en faire la demande.
La déclaration d’un AT ou d’une MP revêt toute son importance : en cas d’arrêt maladie, il n’y a pas de jours de carence, en cas de licenciement, le montant des indemnités conventionnelles est doublé.
Un cas particulier de MP : le harcèlement moral. La première consultation permettra au patient de mettre un nom sur ce qui lui arrive, et de lui rappeler les termes de la loi [12] ; un arrêt de travail (maladie) de deux semaines est prescrit (motif, « stress lié à l’emploi »), permettant au patient de prendre de la distance, de réfléchir aux stratégies de défense.
Lors de la deuxième consultation, le médecin pourra réellement apprécier la réalité du harcèlement et ses conséquences, une déclaration de maladie professionnelle sera rédigée avec comme diagnostic « névrose post traumatique », trouble psychiatrique secondaire à un traumatisme. Il est de notre devoir de médecin traitant de déclarer en maladie professionnelle toute pathologie ayant un lien potentiel avec le travail, c’est le seul moyen de faire avancer le tableau des maladies professionnelles et d’améliorer la prévention au travail.
En cas de refus de prolongation de l’arrêt de travail par le médecin conseil, alors que le patient n’est pas guéri, il devra retourner devant le médecin du travail, dès le premier jour travaillé, avec une lettre de son médecin traitant expliquant la situation et précisant la situation de danger immédiat du patient à reprendre son poste et tout poste dans l’entreprise, en mentionnant l’article R 241-51-1 du code du travail. Si le médecin du travail accepte cet argument pour prononcer l’inaptitude au poste, l’employeur ne sera pas dispensé de rechercher un poste dans l’entreprise pendant un mois, mais cela économise la deuxième visite en médecine du travail deux semaines plus tard, période pendant laquelle le salarié n’est pas rémunéré.
Délivrer un certificat médical dans le cadre d’une procédure judiciaire est à double tranchant pour le médecin, ne pas aider le patient ou se retrouver devant une plainte du patron. Pour y pallier, le patient peut toujours fournir son dossier médical qu’il aura demandé et au médecin du travail et au médecin qui l’a suivi [13]
Tout « ras-le-bol » au travail n’est pas synonyme de harcèlement, il y a aussi le burn-out, ou épuisement professionnel qui nécessite un arrêt de travail afin d’éviter la dépression. Pour argumenter l’arrêt devant le médecin conseil nous pouvons nous aider de questionnaires, dont nous pouvons modifier légèrement le contenu en fonction de la profession du patient. [14]
Après un arrêt de travail prolongé ou des difficultés rencontrées du fait même du travail, le médecin traitant ou le travailleur peuvent demander une visite de-reprise auprès de la médecine du travail (sans avertir l’employeur) [15]] ce qui permet au patient de « tâter le terrain » : possibilité de reprise à mi-temps thérapeutique, d’adaptation de poste, apprécier l’implication du médecin du travail, etc. Un licenciement ne pourra jamais être prononcé en cas de retour à l’emploi après un AT, une MP ou une maternité sans visite préalable en médecine du travail, sous peine de nullité
Les décisions du médecin du travail peuvent être contraires à la santé du patient : dans ce cas, le médecin inspecteur du travail peut être saisi, avec accompagnement d’une lettre motivée du médecin traitant. Le secret médical est dans ce cas partagé, alors qu’il ne l’est pas avec l’inspecteur du travail.
Ne pas se faire prendre au piège lorsque le supérieur hiérarchique d’un patient contraint de reprendre le travail pour raison financière demande un certificat d’inaptitude au poste, cela relève de la compétence du médecin du travail.
Le médecin de pathologie professionnelle [16] peut épauler le médecin traitant dans les cas complexes de déclaration de maladie professionnelle (imprécision sur l’exposition toxique, nécessité d’investigations complémentaires) en rédigeant des certificats argumentés et assurant le suivi des démarches.
Le travail de nuit : est considéré comme travailleur de nuit celui qui travaille au moins trois heures dans la période de nuit, au moins deux fois par semaine ou qui travaille 270 heures dans cette même période sur une durée de 12 mois consécutifs. Le travail de nuit est défini par la période horaire 21 heures - 6 heures [17], et peut, par dérogation de l’inspecteur du travail, recouvrir un horaire différent, sur 9 heures consécutives contenant obligatoirement l’horaire 0 heures – 5 heures. Ceci n’est pas valable pour des activités spécifiques (ex personnel du spectacle et de l’audio visuel [18] , du transport [19]). Le travail de nuit, ne doit pas excéder 8 heures, sauf dérogation, et est interdit aux mineurs [20] , de même lorsque le travail de nuit aggrave les problèmes de santé (ex : diabétique insulino nécessitant, troubles du sommeil), la demande d’un poste de jour n’est pas un motif de licenciement [21] . Le travailleur de nuit est soumis à une surveillance biannuelle par la médecine du travail [22].
C’est sur sa demande que la femme enceinte [23] ou ayant accouché et qui travaille de nuit, ou sur celle du médecin du travail, qu’elle est affectée à un poste de jour pendant la grossesse et jusqu’à un mois après le retour du congé post-natal, ce sans réduction de salaire et l’affectation dans un autre établissement est soumis à l’approbation de la salariée. En cas d’exposition à des toxiques ou de conditions de travail incompatibles avec l’état gravidique, l’employeur doit aménager le poste, muter la femme enceinte et en cas d’impossibilité [24] , la dispenser de travail. La patiente bénéficiera alors des indemnités journalières des CPAM.
LE CONTROLE MEDICAL PATRONAL : Le salarié ne peut y déroger sous peine de se voir refuser le paiement des indemnités complémentaires de maladie, et même des indemnités journalières de l’assurance maladie, puisque désormais les conclusions du médecin contrôleur peuvent être transmises à la CPAM
L’employeur a le libre choix du médecin contrôleur sauf clause dans la convention collective [25].
Le salarié est tenu d’informer de son lieu de repos s’il est différent de sa résidence habituelle ; en cas d’omission, l’employeur ne pouvant procéder au contrôle pourra suspendre les indemnités journalières.
Le lieu de repos peut se situer à l’étranger (sous réserve qu’il y ait une convention entre la CPAM et ce pays) ; dans ce cas, l’employeur ne peut se prévaloir de ce qu’il ne pouvait établir de contrôle médical du fait que le salarié était à l’étranger. [26] Lorsque le médecin contrôleur se présente au domicile du malade et ne le trouve pas, les indemnités ne pourront être suspendues dans le cas d’absences justifiées. Sont considérées comme telles :
- La nécessité de suivre le traitement médical prescrit. [27]
- Le suivi d’un traitement de rééducation
- La consultation chez un médecin pour une raison médicale liée à l’arrêt de travail prescrit [28]
Le salarié peut refuser le contrôle médical patronal , s’il possède à la date de la contre-visite un avis d‘inaptitude délivré par le médecin du travail et contre lequel l’employeur n’a pas exercé le recours prévu à l’article L 241-10-1, dernier alinéa du Code du travail. [29]
L’avis du médecin du travail s’impose à l’employeur qui ne peut le contester que devant l’inspecteur du travail conformément à l’article L 241-10-1, dernier alinéa du Code du travail. [30]
Il n’y a pas de rétroactivité de l’avis du médecin contrôleur, et l’avis du médecin contrôleur ne préjuge pas non plus de l’arrêt de travail à J+1, si un nouvel arrêt de travail est prescrit par le médecin traitant l’employeur devra procéder à un nouveau contrôle. [31]
Quel recours pour le salarié contre l’avis du médecin contrôleur ?
Le salarié qui entend contester l’avis du médecin contrôleur ayant conclu à la reprise du travail ne peut se prévaloir d’un avis contraire du médecin conseil de la sécurité sociale, un tel avis étant inopposable à l’employeur [32]
Le salarié peut solliciter un nouvel examen médical par la voie de l’expertise judiciaire [33] , la plus rapide étant le référé. [34]
Le cas particulier des fonctionnaires et de la fonction territoriale : les arrêts maladies, la reconnaissance des AT et des MP sont soumis à l’appréciation des médecins de contrôle, pour des arrêts de travail supérieurs à trois mois dans l’année, le salarié est moins protégé socialement que dans le privé. Une information claire est disponible sur le site de la CGT de la ville de Paris. [35]
D’autres professionnels et associations peuvent aider le patient :
- L’Inspection du travail.
- L’Association Française des diabétiques, qui a un service juridique.
- La Fédération Nationale des Accidentés de la Vie défend les personnes handicapées et invalides, les victimes des risques professionnels et leur famille [36]]
- Les médecins de recours, lorsqu’il y a mauvaise foi de l’employeur et/ou du médecin de contrôle ou le médecin conseil permettent ,moyennement finance [37] , d’assister le patient à l’expertise contradictoire.
- Les avocats.
- Les syndicats, dont l’action dépend du représentant au sein de l’entreprise et des éventuelles relations amicales ; ils permettent de ne pas rester seul, face à la souffrance au travail. .
- Les CHSCT Comité d’Hygiène et de Sécurité et des Conditions de travail où siègent syndicat et médecin du travail.
- Les points d’accès aux droits, les conseillers juridiques.
- Les assistantes sociales des CPAM, lorsque les indemnités journalières sont bloquées ou lorsque le patient ne perçoit pas son invalidité.
Aider le patient dans ces méandres de l’administration est fondamental, mais il est indispensable que le patient montre chacun des courriers reçus par la CPAM à son médecin, car ils sont de plus en plus remplis de pièges, tout est bon pour ne pas payer, même si c’est un droit.