Le lecteur insuffisamment familier des arcanes de cette affaire pourra se reporter aux articles parus antérieurement sur les sites de Pratiques et du Syndicat de la médecine générale [1]
L’Assurance maladie vient de remettre à la ministre chargée de la Sécurité sociale ainsi qu’au Parlement son rapport intitulé : " Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses : propositions de l’Assurance maladie pour 2014 " [2]
On y relève la proposition N°17 : « Réduire significativement le prix du Lucentis® ». L’Assurance maladie, après avoir relevé la situation « quasi-monopolistique » du Lucentis® et rappelé l’énorme différence de coût avec l’Avastin®, se réjouit de l’arrivée prochaine d’un nouveau traitement de la DMLA, l’Eylea® (aflibercept), et propose donc que les autorités sanitaires obtiennent de Novartis une baisse conséquente du prix du Lucentis®. Il était temps…
On pourrait s’en réjouir, même si les atermoiements et fausses-manœuvres de la Direction générale de la santé n’avaient déjà creusé un trou de plusieurs centaines de millions d’€ dans les dépenses de la même Assurance maladie.
Et pourtant, il y a loin de la coupe aux lèvres. C’est que le passé nous en a déjà instruits : les baisses précédentes sont demeurées dérisoires, le gouvernement n’ayant, par exemple, jamais usé du pouvoir de négociation que lui conférait la réglementation européenne de la concurrence, en refusant de s’associer à l’enquête italienne instruite contre Roche/Novartis, pour entente illicite
[3]
. De la même manière, le gouvernement n’a toujours pas pris les décrets d’application de l’article 57 de la Loi de Financement de la Sécurité Sociale, [4] décrets qui lui auraient permis d’imposer une RTU (Recommandation d’utilisation temporaire) de l’Avastin®, malgré les réticences de son producteur, Roche. A 40 € l’injection contre 800 € pour le Lucentis®, la menace avait pourtant de quoi donner à réfléchir à Novartis.
Maintenant, l’arrivée prochaine de l’Eylea® est-elle susceptible de vraiment changer la donne ? On peut en douter. La molécule est produite par Regeneron, une société biotechnologique américaine, détenue à 17% par Sanofi, qui envisage d’ailleurs d’y porter sa participation à 30%. Regeneron se réserve l’intégralité de la commercialisation de l’Eylea® pour les Etats-Unis et en cède les droits, à moitié, à Bayer pour le reste du monde. [5]
Autrement dit, qui peut croire que le fait d’introduire deux poids lourds de plus (Bayer et Sanofi) dans le panorama serait susceptible de modérer les appétits des deux premiers - Roche et Novartis -, face à un marché en croissance exponentielle ? N’oublions pas l’accord récent qui ouvre en grand les portes de la Chine au Lucentis® Novartis receives approval for Lucentis® and launches Galvus® in China, two innovative therapies that support public health goals [6]
Nous exagérons ? Eh bien, les faits, maintenant :
1. L’Eylea® a été introduit sur le marché américain fin 2011. Et à quel prix ? 1850 $ l’injection, contre 2000 $ pour le Lucentis®, soit un écart de 7.5%. [7] On est loin des 50 $ de l’Avastin® ! Certes, le nombre d’injections nécessaires pourrait être réduit, mais l’addition n’en restera pas moins salée.
2. Regeneron/Bayer ont passé un accord avec Roche/Genentech : les premiers verseront désormais aux seconds des royalties de l’ordre de 5% sur leurs ventes d’Eylea®, du fait des brevets détenus par ceux-ci. [8]
Ainsi, Roche, déjà partie prenante, via Genentech, aux ventes du Lucentis®, l’est désormais aussi à celles de l’Eylea®. Une raison supplémentaire pour lui de tout mettre en œuvre pour empêcher son propre produit - l’Avastin® - de venir casser les prix de cette belle mécanique !
On le voit désormais clairement : une solution conforme à l’intérêt général existait, c’était justement l’Avastin®. Tout aura été fait pour la torpiller, chacun apportant sa pierre à l’édifice : groupes pharmaceutiques, Administration, Assurance maladie, lobbies professionnels minés par les conflits d’intérêt.