Le diable aime les médicaments

« Le diable s’habille en Pradaxa  ». Plaisanterie pour mettre en scène une nouvelle fois notre difficulté à relayer les prescriptions des spécialistes auxquelles nous n’adhérons pas.

Le patient est ouvert à la critique, mais pas au point de changer : « On m’a donné un anticoagulant à cause de mon trouble du rythme cardiaque, je préfère celui-ci qui ne nécessite pas de prise de sang régulière comme les antivitamines K. ». Une autre patiente : « Moi, je n’ai pas de veines, on me charcutait une fois par mois pour le contrôle du traitement, et puis le résultat variait tout le temps, on n’arrivait pas à trouver la bonne dose, là c’est moins fatigant. ». A la maison de retraite : « la cardiologue a proposé un nouveau traitement pour ma mère, qui ne nécessite pas de contrôles sanguins, ça serait mieux pour elle ».
Juste à temps, pour la troisième patiente le traitement n’avait pas encore été changé, j’ai pu résister. Avec des arguments de poids : la revue Prescrire dit que ce « nouvel anticoagulant » est dangereux pour les personnes âgées, et en cas d’insuffisance rénale (donc il faut bien contrôler quelque chose par une prise de sang de temps en temps…). S’il y a une hémorragie, on n’a pas d’antidote (alors qu’avec les antivitamines K il y a la vitamine K…).

Mais la voix du généraliste contre celle du spécialiste ne pèse pas lourd, et l’énergie pour modifier un traitement n’est pas toujours mobilisable, surtout face à un patient réticent. Comment faire ? il suffit d’attendre un scandale, avec annonce à la radio : « le Pradaxa cause des hémorragies graves et ne doit pas être l’anticoagulant de choix ».
Trois ans au moins se sont écoulés après l’avertissement de Prescrire, les medias ont réagi, enfin. Et alors les patients. Le premier m’envoie un mail « Alerte !!! J’arrête tout dès ce soir ». Je réponds : « Mais non, ne risquez pas l’accident vasculaire cérébral, joignez rapidement votre cardiologue. ». Je le connais il est capable de remuer tout l’hôpital pour l’avoir au téléphone dans la journée.

Et maintenant on fait quoi ? Comment on switche un médicament pour l’autre ? Faut-il attendre un certain délai pour ne pas superposer les effets ? Ou au contraire les prescrire ensemble car le deuxième tarde à être efficace ? Aucun mode d’emploi, aucune aide des pouvoirs publics, on en reste à l’annonce à la radio et débrouillez-vous ! C’est là le dur métier de médecin de famille, dépendant de spécialistes qui, eux, même très bons techniciens, n’hésitent pas à suivre des modes largement influencées par les intérêts des laboratoires pharmaceutiques. Et nous qui nous sentons responsables de ce qui pourrait arriver aux patients, essayant de les informer, mais sans grande autorité.

Les catastrophes n’arrivent jamais, c’est ce que pensent la plupart des médecins, et c’est une des raisons pour lesquelles on est si peu pharmacovigilant en France. Allez, avec un peu de chances ce qui est noté sur la notice n’arrivera pas. Mais si cela se produit quand même, comme on se sent idiot ! Quand donc l’Agence du médicament va-t-elle enfin s’abonner à la revue Prescrire  ?

jeudi 26 septembre 2013, par Martine Lalande

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