Il n’est pas habituel que j’écrive deux billets d’humeur dans le même mois. Mais cette fois ci, mon humeur est véritablement mauvaise. Voilà de quoi il s’agit.
L’autre matin, un inspecteur de la CPAM du 93 vient me voir pour m’interroger sur la réalité et la justification d’un arrêt maladie que j’avais fait à une jeune femme en septembre dernier. Il faut préciser que cet inspecteur, fort aimable au demeurant, travaille au service des fraudes.
Je lui explique que je suis bien l’auteur de cet arrêt et que la raison en est simple : dépression réactionnelle suite au décès de la grand-mère de cette jeune femme qui chérissait cette aïeule. Le parcours de l’intéressée est suffisamment chaotique pour que je sache quel rôle bénéfique fut joué par sa grand-mère et que, par conséquent, je puisse apprécier à quel point ce deuil la faisait souffrir. De toute façon, je lui rappelle que je n’ai pas à me justifier vis-à-vis de lui et que si cela est nécessaire, il y a un service médical compétent, ce dont il convient aisément. A moi donc de lui demander pourquoi cette intrusion de son service dans cette relation médecin malade ? La réponse me sidère.
Une lettre anonyme est parvenue à ce service des fraudes, dénonçant un arrêt maladie injustifié, arrêt pendant lequel cette personne aurait séjourné en Algérie, pays d’origine de la grand-mère, où elle fut inhumée.
Je me permets de lui expliquer que cette famille se déchire depuis le décès de la grand-mère pour une question d’héritage, allant de l’invective à la violence physique : un des petits enfants a même séjourné en réanimation, suite à une agression physique. La justice est saisie. Cette lettre anonyme de dénonciation s’inscrit dans cette violence.
Je lui fais remarquer que la situation est suffisamment grave pour que la CPAM ne vienne pas aggraver le conflit. Quand on est « chasseur de fraudeur », il faut également se montrer précautionneux et ne pas pousser à la violence. Et comme il a déjà rendu visite à la « coupable », pour demander des comptes, il peut être maintenant certain qu’il va aggraver les choses et donc qu’il se comporte de manière irresponsable.
Et c’est tout simplement, tout naturellement, qu’il m’explique que c’est comme cela que le service des fraudes fonctionne. Que c’est plus facile d’agir quand on reçoit une lettre anonyme, que l’important est de coincer le fraudeur et que la fin justifie les moyens.
Alors, je me mets en colère. Ainsi donc, le service des fraudes cautionne la délation, cette manière d’agir ne leur pose pas de problème éthique. Je lui explique ce que peut être la délation dans un pays démocratique, que c’est un venin social parmi les pires, qu’elle contribue à générer la violence sociale. Je lui explique, furibond, que mon travail de médecin généraliste, dans cette cité de banlieue où j’exerce, consiste aussi à lutter contre cette violence sociale, que le respect de l’autre est un des fondamentaux du vivre ensemble, que la jalousie, la discrimination, le racisme passent aussi par la délation.
Quand une institution de la protection sociale dont les valeurs sont la solidarité, l’équité, le respect de l’assuré, bafoue ces fondamentaux démocratiques, alors l’institution devient elle même une violence et une honte. Il m’écoute, stupéfait : il n’avait jamais pensé à cela et encore moins évoqué cette question au sein de son service.
Voilà où nous en sommes rendus ! L’obsession de la fraude, associée à un discours politique xénophobe, piétine de plus en plus les valeurs de la République. Pauvre France.