La permanence des soins est un service public à pérenniser

Patrick Dubreil
Médecin généraliste.

Je suis arrivé au Centre d’accueil de la permanence des soins (CAPS) de Châteaubriant le samedi 30 décembre 2017 à midi pour prendre ma garde. Cet endroit est situé juste à côté des urgences du Centre hospitalier de la ville. J’ai exercé dans le pays de Châteaubriant il y a quelques années, je suis installé à St Sébastien/Loire puis à Nantes depuis 2013, mais je continue d’effectuer 4 à 5 gardes de WE par an au CAPS de Châteaubriant. C’est une maison de plain-pied avec deux cabinets de soins, un bureau, une salle d’attente, un T2. Bref un endroit confortable où je comptais passer la nuit puis repartir le dimanche matin pensant qu’un-e collègue prendrait la relève.

Les gardes s’effectuent selon les horaires suivants : samedi de 12 heures à minuit, dimanche de 8 heures à minuit et les lundis et vendredis de 20 heures à minuit. La nuit de minuit à 8 heures est assurée par le centre 15 et les urgences hospitalières, les soirées du mardi au jeudi ne sont plus assurées depuis quelques années. Le secteur de garde est large et couvre le pays de Châteaubriant au nord de la Loire Atlantique, une partie de l’est de la Mayenne et du Maine et Loire et une partie du sud de l’Ille et Vilaine, soit 4 départements. Les médecins généralistes peuvent être appelés en visite.

Quelle ne fût pas ma surprise de constater ce samedi 30 décembre qu’aucun médecin n’était inscrit au CAPS sur les jours de garde suivants : dimanche 24, lundi 25, dimanche 31 décembre 2017 et lundi 1er janvier 2018. Personne ne m’avait prévenu.

Dès lors, un dilemme se posait, devais-je effectuer la garde du dimanche ou rentrer chez moi ? J’ai travaillé le samedi ET je suis resté le dimanche en pensant aux collègues des urgences, j’ai consulté le dimanche de 8 heures à 19 heures. En début d’après-midi, j’ai averti le centre 15 et les urgences que je stoppais à 18 heures à cause de la fatigue, je n’avais pas prévu à manger pour dimanche et c’est la secrétaire des urgences qui m’a apporté gracieusement un plateau-repas le dimanche après-midi. Les horaires suivants n’ont pas été assurés : le dimanche de 19 heures à minuit et le lundi 1er janvier de 8 heures à minuit. Le samedi j’ai vu 27 patient-e-s, 30 le dimanche (contexte hivernal épidémique et de surmortalité habituelle chez des malades chroniques et des personnes âgées). Sur les 27 patient-e-s du samedi, 6 m’étaient adressé-e-s par les urgences et n’ont pas été hospitalisé-e-s. J’en ai fait hospitaliser 6 autres pour des cas plus graves de type détresse respiratoire, pneumopathie chez l’adulte, un érysipèle (infection de la jambe) chez une personne âgée et une suspicion d’une sténose du pylore chez un nouveau-né de 15 jours, etc. La plupart des patient-e-s que j’ai consulté-e-s ne relevaient pas des urgences hospitalières, il s’agissait d’otites chez l’enfant, de sinusites de l’adulte ou de viroses dont la grippe chez des sujets âgés, malades chroniques ou en situation de handicap par ailleurs. J’ai dû accueillir le dimanche à bon escient une dizaine de patient-e-s provenant des urgences.

Le CAPS est un "service porte" de médecine générale qui permet d’assurer la permanence des soins dans de bonnes conditions. Cela évite le recours aux urgences et permet aux équipes de ces urgences de diagnostiquer et traiter les seuls cas où le pronostic des patient-e-s est vraiment engagé. Donc ces deux services publics sont complémentaires. Le CAPS de Châteaubriant aurait besoin d’un second médecin d’astreinte, en hiver notamment, pour effectuer les visites, ce qui n’est plus le cas depuis quelques années. Ce WE, le régulateur du centre 15 m’a appelé pour effectuer deux visites, mais devant la salle d’attente pleine, il s’est arrangé pour faire venir la 1re personne âgée à l’aide de la famille et a envoyé une ambulance chercher la seconde personne, invalide, ancien traumatisé crânien, vivant en foyer de vie, pour l’emmener au CAPS.

Nous pouvons donc dire que l’accès aux soins primaires pour la population n’a pas été assuré convenablement les 24, 25 décembre, au cours de la soirée du 31 décembre 2017 et le premier janvier 2018, puisque ce sont les seules urgences hospitalières de Châteaubriant qui ont assuré ce service, qui pourtant ne leur est pas dédié, en espérant qu’aucun patient ne soit mort entre leurs mains à cause de cette désorganisation et d’un éventuel « engorgement ».

À force de favoriser la privatisation du système de soin et de faire en sorte que les modes d’exercice les plus rentables et individualistes soient favorisés par les réformes successives dont la convention médicale (course à l’acte, augmentation des tarifs avec in fine absence de motivation des médecins pour faire les tours de garde, au passage augmentation du tarif des complémentaires santé, pénalisant les patients), nous arrivons à cette situation ubuesque. À la décharge des généralistes, un épuisement professionnel, à leur charge, un manque de volonté de regroupement et d’engagement politique, dans le bon sens du terme, indispensables pour améliorer leurs conditions de travail et donc l’accès aux soins de santé primaire.
La responsabilité de la permanence des soins incombe en premier lieu aux autorités préfectorale et sanitaire (Agence régionale de santé). Quelle est leur représentation de la réalité ? Les médecins généralistes et leurs associations, les hospitaliers, les élus et les citoyens doivent s’emparer aussi de ce débat public. Quand se décideront-ils à se mettre tous ensemble autour de la table, trouver un terrain d’entente et à se donner enfin les moyens d’assurer la santé et la sécurité de toutes et tous ? Les beaux discours sur le virage ambulatoire, la « révolution » numérique, la télémédecine ou le lien ville-hôpital ne suffisent plus, quand le b.a.b.a. de la permanence des soins n’est pas assuré.
Faudra-t-il attendre de nouveaux morts, comme lors de l’épisode caniculaire de 2003, pour qu’on agisse, afin de la pérenniser ?


mercredi 3 janvier 2018, par Patrick Dubreil

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